Divergences Revue libertaire en ligne
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Kabylie. Opprobre que d’être autre que musulman
Tamazgha.fr en Kabylie.
Article mis en ligne le 5 décembre 2010
dernière modification le 11 novembre 2023

Ce qui s’est passé à Michelet, en Kabylie, le 21 septembre 2010 concernant le procès des deux "dé"jeûneurs arrêtés par la police judiciaire de la localité dans un chantier privé, en violation manifeste des droits de l’homme, défraye tout entendement et a mis la population en un terrible émoi.

Les faits remontent au 13 août 2010 lorsque deux ouvriers, Hocini Hocine et Fellak Salem, ont été interpellé par la police au troisième étage d’un bâtiment dans un chantier alors qu’ils "cassaient la croute" avant de reprendre leur travail. L’interpellation s’est effectuée sans mandat d’arrêt. Il est également bon de souligner que ce jour-là, les musulmans étaient au deuxième jour du jeûne qu’ils observent chaque année [1].

Les deux personnes ont été différées sur le champ devant le procureur de la république du tribunal algérien de Michelet. À l’un des ouvriers arrêtés qui s’est déclaré chrétien, raison pour laquelle de toute façon il ne se sent pas concerné par le jeûne des musulmans, la procureur ne s’est pas gênée de l’offenser en lui demandant d’aller vivre en Europe chez les Chrétiens comme lui. Il est à noter que les deux prévenus ont été poursuivis pour le chef d’inculpation de "non respect et offense aux préceptes de l’Islam" selon l’article 144 bis-2 du code pénal.

L’arrestation arbitraire de ces deux ouvriers s’est faite en violation de la propriété privée sans mandat de perquisition ni aucun autre document leur permettant de procéder à une telle incursion.

Le 21 septembre, il y avait foule devant le tribunal, venue soutenir les deux ouvriers et dénoncer par la même occasion le non respect des libertés individuelles, de conscience et de culte. Parmi les présents, on avait remarqué des anciens militants des droits de l’homme, des militants du MAK et de quelques personnalités politiques et culturelles et d’un groupe de Kabyles de confession chrétienne.

C’est vers 10 h que l’audience a débuté par la lecture des faits et l’énumération des chefs d’inculpation. Il faut noter que la salle était archi-comble et que pas moins d’une dizaine de journalistes étaient aussi présents pour couvrir cet événement unique. Aussi, un important collectif d’avocats s’est constitué pour la défense des deux prévenus. Le procureur de la république, après une introduction remarquée dans laquelle il avait signifié que la liberté de culte et de conscience est respectée et que les prévenus sont poursuivis du fait de ne pas observer le jeûne dans un lieu public considéré comme offense à la morale et aux préceptes de l’islam énumérés dans l’article 144 bis-2 du code pénal, il requiert trois ans de prison ferme en se contentant de citer "peine minimum" timidement et avec beaucoup de gêne.

Stupéfaits, la défense et l’assistance ont été scandalisés par ce réquisitoire.

Parallèlement au déroulement du procès, des slogans tels que « pouvoir assassin » qui fait référence aux événements tragiques de 2001 et à l’impunité dont ont bénéficié les gendarmes qui avaient tiré sur les foules ainsi que les commanditaires ont été scandés par une foule remontée qui n’a pas cessé de s’agrandir sur l’axe menant au tribunal.

La défense était remarquable et les plaidoiries assurées par Me Ait Mimoune, Me Rahmouni, Me Hocine, Me Hadouche et Me Ait Larbi faisant partie du collectif d’avocats présents étaient d’une très haute facture. Ainsi le système liberticide et le non respect des droits de l’homme ont été étayés par des argumentaires solides démontant le réquisitoire du procureur. Les plaidoiries n’ont rien laissé au hasard et ont battu en brèche les accusations du procureur.

Parmi ces interventions, on citera celle du Me Hocine qui a fait référence à sa connaissance avérée de l’islam tolérant et qu’il est ahurissant d’assister à des inquisitions flagrantes dans un monde en évolution continue. Il y a aussi celle de Me Hadouche qui a mis l’accent sur les Conventions internationales et la similitude du système algérien avec celui des Talibans à travers une inquisition sans précédent. Quant à Me Aït Mimoune, il a axé sa plaidoirie sur le fait qu’il y a violation de la propriété privée puisque les prévenus ont été interpellés dans un chantier appartenant à une personne physique et non pas dans un lieu public. Chaudement applaudi par l’assistance présente, Me Rahmoune a précisé que le Bon Dieu n’a point besoin de procureur ni de commis pour le défendre sur terre. Me Aït Larbi, quant à lui, a fait une synthèse sur un registre international en faisant référence aux diverses ratifications des Conventions internationales notamment celle relative à la Déclaration universelle des droits de l’Homme que l’État algérien piétine à travers une justice aux ordres.

La séance a été levée vers 11h 30. Le verdict sera prononcé le 5 octobre 2010.

De l’avis de quelques personnes questionnées sur cette affaire, "il est aberrant de nous imposer, à nous les Kabyles, une culture autre que celle de nos ancêtres et dans laquelle nous ne nous reconnaissons pas".