Divergences Revue libertaire en ligne
Slogan du site
Descriptif du site
Christiane Passevant
Le petit Maurice dans la tourmente, 1940-1944. Quatre ans parmi les sous-hommes
Texte de Maurice Rajsfus, dessins de Mario et Michel D’Agostini (Tartamudo)
Article mis en ligne le 5 décembre 2010
dernière modification le 21 novembre 2010

Le petit Maurice dans la tourmente
1940-1944

Quatre ans parmi les sous-hommes

Bande dessinée de Maurice Rajsfus (texte), de Mario et Michel D’Agostini (dessins) (éditions Tartamudo)

« Si la police française ne s’était pas mise aux ordres, jamais il n’y aurait eu autant de dégâts. Il y a eu 150 000 déportés de France, dont 76 000 juifs, les autres étant des déportés politiques (résistants, communistes, otages...). Et que dire de ce policier qui, rendant compte à la préfecture de sa mission, ose écrire, le 22 juillet : " Le Vél’ d’Hiv’ est évacué. Il restait 50 juifs malades et des objets perdus, le tout a été transféré à Drancy." »

« Ils ont volé des années de vie à mes parents. Tous ont participé
aux rafles quand ils étaient requis. Pratiquement pas un seul n’a démissionné.
 »

Juin 1940, les troupes allemandes occupent Paris. La police française se met aux ordres de l’occupant, sans état d’âme. Très vite, des lois raciales sont promulguées par le gouvernement français. L’une d’elles institue « un Statut des Juifs de France » qui a pour conséquence d’exclure les juifs de la fonction publique et l’interdiction d’exercer de nombreux métiers… Le petit Maurice, français par le droit du sol, voient brutalement ses parents transformés en des Untermenschen, selon les termes nazis, c’est-à-dire des sous-hommes et, en 1942, il doit porter l’étoile jaune…

Maurice Rajsfus [1]
a souvent évoqué cette période de la collaboration. Tout d’abord avec Drancy. Un camp de concentration très ordinaire et tout au long de ses nombreux livres qui reviennent sur cette collaboration des autorités françaises avec les nazis, en particulier celle des institutions et de la police. Le gouvernement français de la collaboration était dans l’allégeance à une idéologie basée sur le racisme d’État.

Il faut dire que les pratiques de l’État et des forces de l’ordre ne s’embarrassaient guère de principes humanitaires. Dès 1939, les réfugié-es espagnol-es, fuyant en France les troupes franquistes, avaient été enfermé-es dans des camps, parqué-es dans des conditions épouvantables et inhumaines. La France, qui s’octroie l’image de championne des droits humains, a prouvé que l’image communiquée reste virtuelle en regard d’une réalité toute autre. L’enfermement des étranger-es s’est perpétré après que Pétain ait fait « don de sa personne à la France ». Ce militaire, qui avait fait fusiller nombre de soldats français pendant la Première Guerre mondiale afin de continuer la Grande boucherie, pour l’exemple ou pour avoir chanté l’Internationale, se rendait à « l’invitation du führer » de « son plein gré ».

Les rafles se multiplièrent, accomplies par une police française soucieuse de son « devoir » : arrestations des étranger-es, juifs et juives, réfugié-es politiques antinazi-es, puis des familles juives françaises — il fallait faire du chiffre ! Le zèle comptable macabre s’est poursuivi, devançant même les demandes nazies. La pratique des rafles s’est donc généralisée dans la France occupée, mais aussi par la suite dans la France libre, jusqu’à celle du 16 juillet 1942, dite du Vel D’hiv’ [2].

« Quand la police a cogné à notre porte, à l’aube du 16 juillet 1942, cela faisait plus d’un an que l’on avertissait régulièrement qu’une rafle était imminente. Il y avait une telle intox qu’à la fin, on n’y croyait plus. Surtout, nous ne voulions pas y croire. On ne pouvait imaginer que les responsables de la police allaient eux-mêmes suggérer aux nazis de procéder à l’arrestation des enfants et des vieillards. Malgré l’imminence du danger, nous étions incrédules. Je me souviens encore que, dans la nuit même de notre arrestation (il faisait une telle chaleur que nous ne pouvions trouver facilement le sommeil), mon père s’est levé, a marché jusqu’à la fenêtre de sa chambre en murmurant “encore une nuit de passée”… » Maurice Rajsfus, Les Silences de la police. 16 juillet 1942, 17 octobre 1961. Maurice a 14 ans quand il est arrêté avec ses parents et sa sœur par de zélés représentants de l’ordre, dont un certain Marcel Mulot, ancien voisin de la famille.

La bande dessinée du Petit Maurice dans la tourmente décrit parfaitement le climat de l’époque, grâce aux dessins de Mario et Michel D’Agostini. Les repères historiques, en préambule, permettent de mieux comprendre la succession des événements de cette tourmente dans laquelle est prise Maurice. Sauvés « par hasard » et par le réflexe de sa mère, les deux adolescents échappent à la déportation et survivent deux années dans cette époque trouble de l’occupation, oubliés en quelque sorte des autorités.

La bande dessinée est certainement un outil pédagogique majeur pour comprendre cette période de l’histoire française et suscite une réflexion sur ce qui se passe actuellement, les arrestations brutales et l’enfermement de sans-papier-es, hommes, femmes enfants, et lorsqu’un un autre « homme providentiel » désigne les Roms européens comme fauteurs de troubles et indésirables.

« Tant d’années après la rafle du Vel’d’hiv’ — et de celles qui allaient suivre — nous trouvons toujours des policiers et des gendarmes disponibles pour harceler les familles de sans-papiers, aux fins d’expulsions, souvent violentes. »

Alors que la propagande envahit tous les espaces de communication avec la question de « l’identité nationale », que le gouvernement joue sur la peur pour faire accepter les expulsions, les camps de rétention, les rafles de sans-papier-es et de Roms, l’idée de déchéance de la nationalité française, Le petit Maurice dans la tourmente permet de mesurer les dérives et les dangers d’une telle instrumentalisation.

« Dans les pays, dits de civilisation avancée, il est étonnant de constater le poids représenté par les forces de l’ordre. Déjà, utiliser ce terme de
« forces de l’ordre » pourrait signifier qu’il y aurait désordre à craindre en permanence, à moins qu’il ne soit déjà installé. Ce qui nécessite de surveiller étroitement une population réticente à respecter les édits. D’où cette attention particulière portée aux policiers et aux gendarmes par des gouvernements pas toujours persuadés de leur légitimité. C’est là un constat qu’il est difficile de nier : moins un pouvoir est populaire, plus les hommes en arme chargés de le défendre sont nombreux. En ne nous intéressant qu’aux pays où la démocratie est censée être parfaite, les effectifs sont plutôt édifiants. Si l’on ajoute aux policiers et aux gendarmes, les polices municipales, les polices semi-privées comme celles de la SNCF et des transports en commun, sans oublier les douaniers, nous arrivons à un total de quelque 300 000 hommes (et femmes) habilités à jouer de la matraque et, le cas échéant, à ouvrir le feu. Soit environ 2% de la population de ce pays. La France est donc placée sous la haute surveillance d’une infime minorité de mercenaires disposant, par délégation, de pratiquement tous les pouvoirs sur les pékins. Y compris de tuer, en
« légitime défense ». Même si la peine de mort a été abolie en octobre 1981. » [3]