Jean-Pierre Garnier
Vent de colère populaire au Tréport : quand les éoliennes off shore font des vagues
Article mis en ligne le 5 décembre 2010
dernière modification le 25 janvier 2012

Baptisé « Projet des deux côtes » (normandes et picardes) par la Compagnie du vent, filiale de GDF Suez, premier producteur mondial d’électricité, il prévoit l’implantation, au large du port de pêche du Tréport et de la station balnéaire de Mers-les bains, de 141 éoliennes de 150 m de hauteur chacune avec des hélices de 65 m de long. Zone concernée par ce parc gigantesque : 72 km2, à 14 km du littoral. Coût prévu : 1 milliard 800 d’¤. Début de chantier : 2012. Premières éoliennes installées : 2015. La population du Tréport et des bourgades voisines, emmenée par la municipalité ( Front de gauche) s’est mobilisée contre une opération à finalité financière et non écologique qui menace la vie sociale, la vie sociale, l’identité et l’avenir des habitants. Et l’environnement.

L’occasion était trop belle. J’ai décidé de m’en mêler. Et de jouer avec beaucoup d’autres les empêcheurs de débattre en rond. Ci-dessous, mon topo.

Intervention lors de la réunion de clôture du débat public sur les éoliennes off shore au Tréport le 7 septembre 2010

Je tiens à préciser d’emblée, pour éviter les procès d’intention, que je ne suis membre d’aucun parti, d’aucun syndicat, d’aucune association, d’aucun autre type d’organisation. Je parlerai donc à titre personnel en tant que simple habitant du Tréport.

Dans Le Courrier picard paru ce matin, le président de la commission particulière du débat public, Philippe Marzolf, se montrait surpris — je le cite, je vous cite puisque vous êtes là — de voir « à quel point la question de l’énergie passionne ! Ce qui est finalement assez surprenant s’agissant finalement d’un débat local ». Permettez-moi, cependant, de diverger d’avec vous sur ces deux points.

D’abord, au-delà ou en deçà de la question de l’énergie, ce qui est en jeu pour la majorité des habitants du Tréport et des communes côtières voisines, c’est une question de survie, au sens global du terme : l’économie, la vie sociale, l’identité, l’avenir des habitants et de leurs enfants sont menacés. Sans parler du paysage que la Compagnie du vent va saccager. Ensuite, et ceci découle de cela, il ne s’agit pas seulement d’un « débat local ».

« Local », il l’est bien sûr géographiquement. Mais, par ses tenants et ses aboutissants, quels que soient ces derniers, ce débat renvoie à un problème d’ordre général, à une question de société qui intéresse la France entière, pour ne rien dire de l’Europe. Autrement dit un problème politique, au sens noble et non politicien du terme : celui de savoir dans quel type de Cité et donc de société nous voulons vivre. Problème par nature conflictuel qui explique l’intensité du débat à laquelle vous faites allusion. Et la difficulté voire l’impossibilité de mettre d’accord partisans et opposants au projet éolien off shore des deux côtes, pour reprendre l’appellation choisie par la Cie du Vent pour l’intituler.

Il me semble qu’il faille, au préalable, replacer le débat dans son contexte. Peut-être est-il déjà trop tard. Mais, il n’est jamais trop tard pour bien faire, comme dit le proverbe. Ce contexte est double : à la fois économique et institutionnel, donc déjà politique par ses implications.

Je commencerai par le contexte économique. Je vais poser une question aux deux représentants présents ce soir parmi nous, ou plutôt face à nous, de la Compagnie du vent. À quel objectif réel répond le projet d’implantation d’un parc d’éolienne off shore ? Quelle est la raison d’être véritable d’un tel projet ? Mais je crois que vous ne pouvez pas répondre car vous n’êtes pas habilités pour le faire. Je vais donc le faire à votre place

La Compagnie du vent qui doit mettre ce projet en œuvre, est, commeon le sait, une filiale de GDF-Suez, 1er groupe mondial de production d’électricité — devançant EDF depuis quelques jours. Mais ce que produit aussi, d’abord et surtout GDF-Suez, c’est, dans le langage des banquiers et des traders des places boursières de Paris, Londres, Francfort, New York et ailleurs, de la « valeur pour l’actionnaire », comme toutes les firmes transnationales en cette ère de globalisation néo-libérale où la finance est au poste de commande.

Sur le site internet de GDF-Suez, ce qui apparaît en première page, ce sont les cours en bourse des actions et les résultats financiers de ce groupe, sous formes de courbes et d’indices. Son PDG, Gérard Mestrallet, polytechnicien et énarque de haute volée, est un chouchou des financiers de la City. Un orfèvre, il est vrai, en matière de restructurations, de fusions-acquisitions et de joint ventures : entre la compagnie Suez, qu’il dirigeait, et GDF, puis pour l’absorption par son groupe, l’été dernier, d’un autre poids lourd de l’électricité : International Power (britannique). Objectif prioritaire : donner des gages aux « marchés » i.e. aux banques, aux sociétés de gestion d’actifs, aux investisseurs institutionnels, aux fonds de placement (hedge funds) réservés aux holdings financières et aux grandes fortunes, bref aux spéculateurs et aux boursicoteurs. Le rachat récent d’International Power s’inscrit dans cette stratégie. De même que l’accord de partenariat que GDF-Suez vient de passer avec Eletrobras, consortium public brésilien de production d’électricité, leader sur ce marché dans le pays. GDF-Suez était déjà le premier groupe privé de production électrique en Amérique latine.

La philosophie des dirigeants de GDF-Suez, on peut en avoir une idée, avec le titre du film, un western, dont la musique accompagne un vidéo clip promotionnel — « Chronique d’une journée ordinaire » — à la gloire du groupe et à destination des consommateurs particuliers d’électricité :
« Pour quelques dollars de plus » ! Humour involontaire ? Encore qu’il s’agisse pour GDF-France de plusieurs dizaines de millions.

Je ne ferai, à ce propos, que rappeler pour mémoire ce qu’a signifié, en 2007, l’ouverture du marché de l’électricité à la concurrence : l’abandon de la fourniture d’électricité à la population en tant que service public. GDF-Suez, entre autres, en a largement profité. Et même abusé, comme ont pu s’en apercevoir ses clients individuels. GDF-Suez est actuellement soupçonnée de surévaluer les factures de consommation d’électricité destinées aux particuliers, frappées du logo : Dolce vita. En fait
de « dolce vita », GDF mène la vie dure à ses clients. UFC-Que choisir et des comités d’usagers ont dénoncé ce racket. Au point que J-L Borloo, ministre du développement et de l’aménagement durables, a dû saisir le médiateur de l’énergie, chargé d’arbitrer les conflits entre fournisseurs et clients, et demander un rapport. C’est la lecture d’un titre paru dans Le Parisien qui l’aurait alerté. Il n’était pas au courant, paraît-il. Ce qui est le comble s’agissant d’un problème d’électricité !

En août dernier, une bonne nouvelle est venue donner du baume au cœur des actionnaires de GDF-Suez : le même J-L Borloo annonce un appel d’offres pour la construction de 600 éoliennes au large des côtes françaises. Programme : un investissement de 10 milliards d’euros.
À terme (2020) : 20 milliards. C’est l’État qui finance. « Nous nous réjouissons de la position du gouvernement » qui affiche ainsi clairement son soutien à l’éolien en mer, claironnait Mme Isabelle Giudicelli, chargée de comm’ (propagande) de la Cie du vent [1]. Dommage qu’elle ne soit pas présente aujourd’hui dans la salle.
« Éoliennes en mer : l’État appuie les projets », titrait le Courier Picard. [2] Et pour cause : dans un pays capitaliste, l’État est au service du capital, pour ne pas dire de la classe dominante, de la bourgeoisie. À plus forte raison avec un gouvernement de droite. Mais Gérard Mestrallet, ancien haut fonctionnaire de la direction du Trésor, se soucie peu de la couleur politicienne des gens qu’il sert. De septembre 1982 à juillet 1984, il avait été recruté comme conseiller technique chargé des affaires industrielles par le ministre
« socialiste » de l’Économie et des Finances de l’époque, Jacques Delors
du gouvernement Mauroy. En plein tournant de la « rigueur » !

On aura compris, en tout cas, que pour les managers de GDF-France et les actionnaires auxquelles ils doivent rendre des comptes, les préoccupations environnementales et sociales sont le cadet de leurs soucis.

Un projet désastreux

Un projet désastreux, c’est-à-dire nocif, nuisible à plusieurs égards pour la population locale :

1. Pour les pêcheurs. Ces éoliennes vont rendre dangereuse la navigation et les ondes émises par les pales (champs magnétiques) font faire fuir les poissons. Or, la pêche et ses dérivés constituent la principale activité du Tréport. Que va devenir la flottille qui mouille dans ce port ? Soit une soixantaine de bateaux avec leurs équipages : environ 200 marins-pêcheurs + main d’œuvre pour transport, entreposage et vente. Avec leurs familles.

2. Pour les commerçants, les restaurateurs, en particulier. Le Tréport est un haut lieu gastronomique pour les amateurs de poisson et de fruits de mer. En été comme en hiver, le week-end, les restaurants accueillent de nombreux visiteurs. Vont-ils devoir remplacer le poisson frais par des surgelés ? Signalons, à ce propos, que les pêcheurs contribuent à la préservation des équilibres de l’éco-système, n’en déplaise aux « escrologistes » : outre qu’ils n’épuisent pas les ressources naturelles [3], la nourriture qu’ils procurent est non seulement succulente, mais saine. On ne peut pas en dire autant des produits alimentaires fabriqués à la chaîne par les trusts agro-industriels.

3. Pour le tourisme. Ces visiteurs viennent aussi parce qu’ils apprécient l’ambiance de la ville. Activité typique du Tréport, la pêche non seulement fonde l’identité de la ville et de ses habitants, mais constitue un facteur d’attractivité essentiel pour les gens venus d’ailleurs. Apprécient le spectacle du port animé par le va et vient des bateaux. Contraste avec la vision désolante qu’offrent la plupart des anciens ports de pêche français, en Méditerranée et sur l’Atlantique, convertis en parkings à bateaux de plaisance (Marseille, Collioure, La Rochelle, Camaret…). La plupart des petits commerces, et pas seulement les restaurants, seront concernés par la désaffection des visiteurs, y compris des plaisanciers qui ne voudront pas prendre le risque de traverser le barrage des éoliennes pour accoster.

4. Pour l’environnement, quoi qu’en disent les écologistes d’État. Au plan visuel, bien sûr, le paysage obturé par cette forêt — qu’on ose appeler « parc » dans les documents officiels — de pylônes et d’hélices géantes plantées à l’horizon a de quoi faire frémir — pas d’aise mais d’horreur — les estivants sur les plages, les promeneurs sur les falaises, et, pour ce qui est de Mers-les-bains, également les résidents d’un front de mer pourtant classé dans le patrimoine architectural de la région. Deux des « villes sœurs » verraient ainsi leur environnement naturel saccagé. Même chose pour les communes voisines de Criel-sur-mer et Ault.
On évoquera aussi pour mémoire les dizaines de bombes larguées dans la mer par l’US Air Force pendant la Deuxième Guerre mondiale, que les forages en profondeur risqueraient faire exploser. Aux dernières nouvelles, cependant, des navires de l’OTAN auraient discrètement entrepris de déminer les parages. Un pur hasard alors que cela faisait une soixantaine d’années que cette opération était réclamée.

Quoi qu’il en soit, ce projet « mirifique », s’il vient à se réaliser, condamne le Tréport à une asphyxie économique et sociale générale. Il en fera une ville sinistrée, et sinistre. C’est l’ensemble des habitants qui en pâtiront.

Argumentation des promoteurs du projet et leurs partisans : 3 assertions = 3 contre-vérités

1. Éolien : alternative aux énergies polluantes (charbon, pétrole, nucléaire). Venant de la Cie du vent, l’argument de manque pas d’air, si l’on peut dire. GDF Suez est largement impliqué par ailleurs dans la construction massive de centrales électriques à base de fuel ou d’énergie nucléaire. Ce qui importe aux dirigeants de GDF-Suez, c’est d’investir là où cela peut rapporter. Les préoccupations environnementales, comme les préoccupations sociales, sont le cadet de leurs soucis.

Mais surtout, en matière d’« énergie propre », on a fait mieux. il faudra couler 300O t de ciment par éolienne pour fixer chaque pylône. Multiplié par 141, on imagine le résultat ! Non content de bétonner les côtes, comme on l’a fait depuis des décennies, voilà maintenant que l’on s’apprête à bétonner les fonds marins, toujours poussé par la soif de profits ! En y ajoutant les 300 tonnes de ferraille correspondant à chaque éolienne. De plus, une fois désactivé, le magnifique « parc éolien en
mer », se transformera en « friche maritime », comme il y a eu des friches industrielles et urbaines dans les zones où les usines, les mines, les entrepôts ou les chantiers navals ont été fermés. Avec cette différence qu’aucune requalification-reconversion urbaine ne pourra être envisagée par la suite pour la « revaloriser ».

Mais surtout, l’éolien n’est pas une alternative. Sa part restera minime dans la production totale d’énergie : toutes les études comparatives sérieuses ont prouvé qu’il ne pouvait remplacer les autres sources d’énergie. Il ne fera tout au plus que s’y surajouter. Avec l’effet habituel : encourager une consommation accrue. Alors que la véritable alternative, qui n’est pas technique mais sociale, serait de consommer moins et surtout autrement. Ce qui supposerait un autre modèle de société, un mode de production autre que celui fondé sur une logique d’accumulation illimitée du capital, des profits, des marchandises, la consommation ostentatoire, le gaspillage des ressources et la destruction accélérée de l’environnement. Mais les gens au pouvoir, écologistes en tête — ou en queue — préfèrent surenchérir en palliatifs techniques plutôt que de remettre en question notre mode de vie, et son système de besoins. Comme si la fuite en avant technologique pouvait résoudre le problème.

2. Éolien : favoriserait la création d’emplois grâce au « développement d’un tissu industriel local ». Des chiffres fantaisistes et variables sont avancés : de 2000 à 3500. Faribole, vu les délais impartis. On voit mal, en effet, comment on pourrait faire fabriquer sur place dans les deux ou trois années qui viennent un matériel déjà produit à l’étranger (cf. RFA, Danemark). Pendant que les actifs liés, directement ou non, à la pêche disparaîtraient, on attendrait en vain que les nouvelles usines et des salariés spécialement formés prennent la relève. Deux ou trois entreprises picardes fabriquent déjà pour le marché éolien, objecte-t-on [4]. Comme si cela allait procurer des emplois aux travailleurs de la côte mis au chômage ! Tout au plus, quelques ouvriers embauchés pour la manutention des pièces et du matériel amenés au Tréport, leur montage, la maintenance et la réparation pourraient-ils venir s’installer provisoirement à demeure dans le coin. Encore que ce boulot revienne la plupart du temps à des équipes mobiles basées ailleurs.

3. L’éolien : source d’énergie durable. Pipeau ! Car les éoliennes sont fragiles. Leur efficacité est limitée non seulement en capacité mais aussi en longévité : environ 30 ans de durée maximale. Outre que beaucoup ne tournent qu’au ralenti ou pas du tout, faute de vents favorables, elles tombent souvent en panne. Ce qui diminue d’autant leur capacité et augmente les coûts d’exploitation, payés comme il se doit par les clients pour empêcher la baisse des actions de GDF-Suez.

En somme, cette forêt de mâts, de pylônes et d’hélices ne va pas seulement boucher l’horizon des deux côtes. Elle va aussi boucher l’avenir des habitants actuels et de leurs enfants. Les adultes devront-ils pointer au pôle- emploi ou s’exiler pour aller s’entasser dans des agglomérations surpeuplées et déjà saturées de chômeurs ? Les jeunes devront-ils en faire autant ou emprunter, comme une partie de la jeunesse précarisée et paupérisée des « cités » qui s’y trouvent enclavées, le chemin de la délinquance ?

J’en arrive maintenant au contexte institutionnel du débat.

Quel débat public ?

Que ce soit à l’échelle nationale ou locale, les décisions majeures engageant l’avenir de la vie sociale, les conditions d’existence actuelle de la population et celles des générations futures, sont prises par une minorité de politiciens conseillés par de soi-disant « experts » plus ou moins inféodés aux pouvoirs en place, avec l’aval des puissances privées dont les uns et les autres servent les intérêts, avant que la population soit consultée, quand elle l’est.

Mais, qu’en est-il de cette consultation ?

Nous vivons, paraît-il, en démocratie. Sous les régimes dictatoriaux ou autoritaires, la réponse des gouvernants au citoyen lambda qui ose s’interroger voire critiquer, c’est « ferme ta gueule ! ». Dans nos
« démocratie de marché » : c’est « cause toujours ! ». Dans les deux cas, le résultat est le même : le règne du fait accompli (le « fait du Prince », hier, et des « Princes qui nous gouvernent », aujourd’hui, pour reprendre le titre d’un libelle assassin de Michel Debré, dirigé contre la « classe politique pourrie », selon lui, de la IVe République finissante, avant de devenir lui-même un prince de la Ve République). Mais les apparences démocratiques doivent être sauvées : le citoyen est donc parfois invité à exprimer son opinion, mais à une condition : que cela ne porte pas à conséquences.

D’où des « campagne d’acceptabilité » lancées par le gouvernement via la Commission nationale du débat public. Comme la notion d’« acceptabilité » l’indique, il s’agit de faire accepter par l’opinion publique des projets, des programmes, des mesures qui peuvent sembler inacceptables selon des critères autres que ceux qui prévalent dans les cercles dirigeants, publics ou privés : productivité, rentabilité, compétitivité. Des critères certes conformes aux « lois » non écrites du système marchand, c’est-à-dire à la logique du profit, mais le plus souvent contraires aux besoins ou aux aspirations populaires.

C’est pourquoi, du côté « communication », c’est-à-dire de la propagande, pour ne pas dire de l’enfumage, une discipline nouvelle est née, portée par la sociologie et les soi-disant sciences politiques : la « critique d’accompagnement ». Une critique de détail, partielle, parcellaire et superficielle, qui ne va pas au fond des problèmes, qui élude les problèmes de fond, qui barre la route à une « critique radicale », celle qui va « à la racine des choses », comme disait un philosophe allemand que je n’oserais nommer ici pour ne pas choquer certaines personnes dans l’auditoire. Toute une panoplie de « procédures de dialogue avec le peuple » est proposée : « débats participatifs », « conférences citoyennes »,
« forums », « expositions interactives » [5]. À chaque fois, il s’agit de dévier le refus et la colère des citoyens vers des instances purement consultatives et de produire des
« recommandations » sans valeur contraignante. Pour en savoir plus sur cette stratégie, pour ne pas dire ce stratagème, je conseille aux possesseurs d’un ordinateur branché sur l’internet de cliquer sur le site PMO [6]. Ils en apprendront de belles sur ces manipulations idéologiques… et sur quelques autres.

Chaque fois, le présupposé de ces « procédures démocratiques » est qu’il n’y a rien à négocier sur le fond : « les OGM vont mettre un terme à la faim dans le monde », « le nucléaire ne pollue pas », « les nanotechnologies sont l’avenir de la société », « l’éolien garantit un développement durable », etc. Mais on est autorisé et même encouragé, en revanche, discuter à loisir d’encadrement, de normes et de plans de sécurité. Des discussions destinées à rassurer à bon compte, à calmer les appréhensions, à anesthésier l’esprit critique, à neutraliser les oppositions, à chloroformer l’opinion, mais qui ne sauraient de remettre en cause les décisions prises en haut lieu.

C’est d’ailleurs de ce que laissait involontairement entendre Mme Isabelle Giudicelli, lorsque, dans l’entretien déjà mentionné, la journaliste lui demandait si l’annonce récente du gouvernement sur la construction de 600 éoliennes en mer allait avoir un impact sur le déroulement du débat public : « Non, a-t-elle répondu. Le débat public est une procédure d’information et de consultation des riverains et des acteurs concernés par le projet. Cette procédure est indépendante des demandes d’autorisation administrative qui auront lieu par la suite, et de cette procédure d’appel d’offres. » En fait, pour savoir ce qu’il en est réellement, il faut tourner autrement la phrase : c’est l’appel d’offres émanant du gouvernement et les demandes d’autorisation venant des entreprises d’implanter des parc éoliens en mer devant telle ou telle façade maritime qui sont indépendants de la procédure de débat public. Autant dire que ledit débat public, ainsi court-circuité, n’aura aucun impact sur les décisions qui seront prises.
Sauf si…

Un village d’Astérix ?

Le Tréport et Mers-les-Bains ont donc affaire à forte partie. C’est David contre Goliath, c’est-à-dire une petite ville et quelques bourgades avoisinantes (Criel-sur-mer, Caieux, Ault, Fort Mahon…) contre un géant du capitalisme globalisé soutenu par l’État. Leur situation est un peu celle du village d’Astérix. Sauf que, de nos jours, il ne s’agit plus d’affronter l’empire romain, mais plutôt l’empire des multinationales, ces « nouveaux maîtres du monde » fustigés par les militants altermondialistes. Cette oligarchie mondialisée est secondée par les gouvernants à l’échelle européenne, nationale et locale, par une technocratie sans état d’âme, par une kyrielle de scientifiques intéressés, par des journalistes aux ordres sans qu’il soit même besoin de leur en donner…
Sans oublier, comme dans l’« Inventaire » de Prévert, ces « ratons
laveurs » du « développement durable », que sont les écologistes institutionnels. Un lavage de cerveaux, en l’occurrence, pour rendre le capitalisme durable en lui offrant à la fois de nouveaux créneaux (« bio », « HQE », « énergies renouvelables », etc.) au plan économique et une nouvelle légitimité au plan idéologique. Dans les pays anglophones, on appelle cela « greenwashing ». Au profit du « green business ».

Un « capitalisme vert ». L’alibi écologique ou la feuille de vigne destinée à masquer l’obscénité de projets, de productions et de produits engendrés par la quête éperdue de profits sur des bases renouvelées. Et l’on peut toujours compter sur les porte-parole de l’écologie étatiste et les associatifs subventionnés, les Verts notabilisés et les petits caciques d’Europe-écologie, pour jouer les cautions « citoyennes ». Un « oui exigeant » au projet proclament sans rire les écolocrates de Picardie et de Haute-Normandie. Supporters du projet, ils ne sont, en réalité, comme leurs homologues au Parlement européen, à l’Assemblé nationale et au Sénat, dans les conseils régionaux, généraux et municipaux, que les suppôts d’un capitalisme durable, qui aident ceux qui ont dévasté l’environnement, les Bouygues, Total, Peugeot, GDF-Suez et Cie, à se refaire une virginité, à se présenter comme les sauveurs ou les sauveteurs d’une planète en perdition. Ces escrologistes feraient mieux d’ailleurs troquer le vert pour le jaune, la couleur de la collaboration avec les patrons.

Que faire, alors ?

Recourir à la fronde. Non pas l’arme utilisée par David contre Goliath, mais au sens de ripostes animées par l’esprit de révolte, de sédition. Les Français ont eu longtemps la réputation d’être un « peuple frondeur » à l’égard les injustices commises par les régimes, les gouvernements, les autorités. Il est peut-être temps de renouer avec la tradition. Pour contrer efficacement un projet inique et ne pas se laisser piéger dans de faux débats, il conviendrait désormais refuser toute discussion avec les responsables du désastre, malgré des invitations pressantes et réitérées. Car pour eux, faire participer, c’est faire accepter. Il ne faut donc n’accepter que des discussions sur les moyens de s’opposer, et uniquement dans le cadre de réunions de contestation. Et non de
pseudo-« concertation » débouchant sur une approbation tacite de ce qui nous est, en fait, imposé.

Aujourd’hui, certains espèrent, souhaitent que le débat soit clos, et feront tout pour qu’il le soit. Officiellement, il le sera. « Fin du débat public aujourd’hui » annonçait Le Courrier Picard ce matin. Est-ce à dire qu’il faille pour autant céder au découragement, à la résignation ? Baisser les bras ou plutôt la voix ? Je ne le pense pas, et je ne suis pas le seul à en juger par les réactions de la salle. Pour résumer mon propos, qui est aussi une proposition, je reprendrai, en le paraphrasant, un slogan soixante-huitard. Les plus vieux, ici, s’en souviennent peut-être : « Ce n’est qu’un début, continuons le combat ». Je dirai : « Ce n’est qu’un débat, continuons le combat ». Et ma conclusion quant à la marche à suivre tiendra en un mot de trois syllabes : RÉ-SIS-TER.