La Cinémathèque française consacre un cycle à Delphine Seyrig, vingt ans précisément après sa disparition prématurée, celle que Marguerite Duras qualifiait de « plus grande actrice de France — et peut-être du monde ».
Le nom de Delphine Seyrig évoque d’abord une image musicale :
une voix de violoncelle selon la formule de Michael Lonsdale ;
une voix « enchanteresse », suspendue à sa respiration ; un timbre, un tempo uniques.
Delphine Seyrig, pour les cinéphiles, c’est la Dame brune, élégante et sophistiquée de L’Année dernière à Marienbad, la si belle, blonde et mystérieuse Fabienne Tabard de Baisers volés — « ce n’est pas une femme, c’est une apparition », dit d’elle Antoine Doinel —, la fée espiègle et intemporelle de Peau d’Ane, ou encore la troublante Anne-Marie Stretter d’India Song.
Mais Delphine Seyrig n’a cessé de « varier » et cette manifestation invite à se déplacer au-delà du mythe de la « DS » qui marche sur les traces de Greta Garbo. Delphine Seyrig n’hésita pas à briser son image de femme rêvée, éthérée et hiératique. Dès 1963 et son second film avec Alain Resnais, Muriel ou le temps d’un retour, qui a ouvert le cycle, elle devient Hélène Aughain, vieillie de 15 ans, et ce rôle lui vaut le prix d’interprétation féminine à la Mostra de Venise. Elle fut une « ménagère » — pas tout à fait ordinaire — dans Jeanne Dielman, parfois elle a joué des femmes plus
« quotidiennes », notamment chez de jeunes réalisatrices à qui elle accorda sa confiance et prêta son talent. Parmi elles, outre Chantal Akerman, citons Liliane de Kermadec, Patricia Moraz, Pomme Meffre ou encore Ultike Ottinger.
Delphine Seyrig fut aussi une femme d’action, engagée dans les combats de son temps et en particulier le Mouvement de libération des femmes dont nous fêtons les 40 ans cette année. Elle disait respirer le féminisme et expliquait qu’il avait nourri, enrichi, son travail d’actrice. Elle fonda en 1982, avec Carole Rousospoulos et Ioana Wieder, le Centre audiovisuel Simone de Beauvoir, une initiative dont le but était de conserver la mémoire de l’histoire des femmes et de favoriser leur création, une initiative qui faisait la jonction entre ses engagements artistiques et féministes.
Cette programmation consacrée à Delphine Seyrig — à travers 33 séances de projection, une spectacle-lecture, avec Coralie Seyrig et Nicole Garcia, et une conférence lundi prochain — permettra de découvrir et redécouvrir la richesse de sa filmographie — d’abord en tant qu’actrice —, et dont il convient de souligner la qualité exemplaire. Delphine Seyrig choisissait ses rôles avec un soin jamais démenti, allant même parfois jusqu’à chercher ses metteurs en scène (ce fut le cas par exemple de Bunuel) et son exigence, sa rigueur, son perfectionnisme sont unanimement salués. Elle est la première actrice française à suivre l’enseignement de Lee Strabserg à l’Actor’s Studio, à la fin, des années 1950 et elle ne cessera de s’y référer, soulignant le caractère décisif de cette rencontre.
Cet hommage rendu à Delphine Seyrig par la Cinémathèque française sera aussi l’occasion — et je m’en réjouis profondément — de voir des films qu’elle-même a réalisés dans les années 1970 à l’époque des tout débuts de la vidéo légère et en particulier son passionnant documentaire Sois belle et tais-toi : elle y interviewe une vingtaine d’actrices françaises et étatsuniennes, à qui elle adresse les questions qu’elle-même se pose sur son métier. Enfin, grâce à un partenariat exceptionnel avec l’Institut National de l’Audiovisuel, vous pourrez apprécier des documents rares — téléfilms, pièces filmées et émissions —, qui viendront compléter le portrait de cette femme aux mille facettes, actrice de théâtre, actrice de cinéma, féministe, et dont il est grand temps de réévaluer la place dans l’histoire du cinéma et des arts.