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Jean-Pierre Petit-Gras
Mexique. Ostula, le droit de vivre
Article mis en ligne le 26 septembre 2010
dernière modification le 2 septembre 2010

« Ils sont entrés chez moi, mais j’ai eu le temps de détaler, par derrière ». Valentín esquisse un sourire. Il y a trois mois environ, 150 individus, armés jusqu’aux dents et se présentant comme membres de la
"Familia", le cartel le plus important du Michoacan, ont envahi le village de
Coire. Ils n’ont pas caché leurs intentions : ils venaient pour tuer
Valentín. Car le jeune homme, après s’être activement opposé
il y a quelques années au programme gouvernemental "PROCEDE" [1], destiné à
privatiser les terres collectives des populations indigènes, avait été l’un
des plus fervents partisans du soutien aux habitants de la communauté voisine
d’Ostula, lorsque ceux-ci ont décidé, en juin 2009, de récupérer le millier
d’hectares de terres volées dans les années 1960 par les « petits
propriétaires » du bourg de La Tacita.

Les "pistoleros" n’ont donc pas pu mettre la main sur Valentín. Ils se sont
contentés de menacer ses 3 enfants (3, 6 et 8 ans) avec leurs fusils
d’assaut, « on va flinguer ton père », et ont emmené son jeune frère. Ils
l’ont torturé pour essayer de lui soutirer des
informations, puis l’ont relâché au bout de deux jours.

Nous avons finalement pu rencontrer les "comuneros" d’Ostula. 14 mois après
la récupération, et l’installation de plusieurs dizaines de jeunes couples
sur les "terrenos comunales", le bilan est lourd. 13 hommes tués, et 4
"levantados", enlevés sans espoir de les retrouver vivants.

Peu à peu, nous saisissons mieux d’autres données du conflit. La plage
d’Ostula (rebaptisée Xayakalan) servait depuis des années au
débarquement de mystérieux chargements, en provenance de Colombie ou
d’Amérique Centrale. « Tout le monde dans la communauté savait que le trafic
était protégé par les militaires ». Pas seulement parce que le casernement de
la Marine se trouve là, trop près pour que les allées et venues puissent lui
échapper. « Souvent, les soldats descendaient sur la plage, pour surveiller
les opérations, afin que les colis ne se perdent pas ».

À côté de Valentín, le regard franc et décidé, deux commandants de la garde
communale d’Ostula. Celle-ci a été créée par les habitants des villages,
lassés de subir agressions et assassinats sans que les coupables ne soient
inquiétés. Ils savaient que la récupération de
Xayakalan ne se ferait pas sans heurts. Ils ont donc renoué avec les
anciennes coutumes de l’autodéfense indigène. Et cette police là n’est pas
une force étrangère à la population, brutale et corrompue, au service des
leaders politiques, des trafiquants et gros propriétaires.
Elle est formée et contrôlée par les habitants de la communauté indigène.

C’est d’ailleurs ce qui inquiète les autorités. Voilà pourquoi, quelques
jours avant l’opération des "pistoleros" contre Coire, un millier de
soldats et de policiers sont entrés dans les maisons, à la recherche d’armes,
sans même un mandat de perquisition. Ils ont emmené deux des membres de la
police communautaire, prétendant les avoir arrêtés lors d’un contrôle
routier.

La complicité entre militaires et "pistoleros" est on ne peut plus claire.
Les uns désarment la population, les autres enlèvent et
assassinent. Mais les médias aux ordres retiendront une toute autre version :
les indigènes se livrent au trafic, et tous ces morts sont
victimes de règlements de comptes. Il faut donc militariser la zone, la
"pacifier" [2] et la livrer au développement. Comme par hasard, la région est
riche en ressources minières, la construction d’un port est en projet. De
plus, les paysages sont splendides. L’immense
plage vierge, bordée de hauts cocotiers, attend déjà les grues et les
bétonnières.

Mais, nous l’avons déjà écrit, ces hommes et ces femmes rudes et
solidaires, indigènes "nahua" du Pacifique, ne sont pas à vendre. Pour eux,
se séparer de la terre qui nourrit les corps, conserve la mémoire des
villages, abrite les âmes des ancêtres et garantit l’avenir des enfants,
c’est accepter une vie au rabais.

Quand ils ont décidé de reprendre leurs terres, les "comuneros" d’Ostula,
Coire et Pomaro savaient qu’ils commettaient une folie.
Francisco de Asís Manuel, le président des biens communaux, le leur avait
répété. C’était juste avant son enlèvement.

Aujourd’hui, essayant de briser l’épais silence médiatique, la communauté
indigène de Santa María Ostula réclame le retour de ses
membres séquestrés, la vérité et la justice sur les assassinats, le
démantèlement des groupes paramilitaires du narco, le châtiment des
fonctionnaires gouvernementaux qui les protègent, le respect de l’intégrité
de ses terres communales, le respect de sa police
communautaire et sa garde communale.

Avec ceux du Chiapas, de l’Oaxaca, du Guerrero, du Chihuahua et d’ailleurs,
avec les ejidatarios de San Salvador Atenco, les "nahua" de
la côte pacifique du Michoacan nous disent que l’humanité peut rester digne
et libre.


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