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Fabien Ollier et Christophe Dargère
Afrique du Sud 2010 : la Coupe immonde des townships
Football. Une aliénation planétaire
Article mis en ligne le 17 juillet 2010
dernière modification le 29 octobre 2023

Du 11 juin au 11 juillet prochains se déroulera une nouvelle Coupe du monde de football, cette fois dans un pays totalement ravagé par la corruption de la classe politique, la misère économique, sociale et sexuelle de la population, la drogue, la criminalité, le gangstérisme maffieux, le trafic d’’armes et le racisme post-apartheid : l’Afrique du Sud
« démocratique et libérale » de Jacob Zuma, grand coureur de jupes semant progéniture à tout va, polygame infidèle inculpé pour le viol d’une jeune femme séropositive en 2005 et bien connu également des tribunaux pour avoir baigné dans diverses affaires de corruption, de fraude, de blanchiment d’argent, de racket et d’’évasion fiscale [1]. Voilà l’interlocuteur qu’il fallait à la FIFA et à ses multinationales partenaires pour mener à bien leur entreprise conjointe de néocolonisation de ce territoire riche en débouchés commerciaux et en main d’œuvre exploitable ! Cela n’a évidemment pas échappé aux tentacules économiques très sensibles de la pieuvre du football, l’Afrique du Sud présente toutes les caractéristiques d’un bon marché à court terme : « Les arguments pour investir dans cette région [le continent africain] sont une croissance forte durable du PIB, une main d’œuvre importante et grandissante, un coût du travail inférieur et un taux de croissance rapide de la productivité. En Afrique du Sud en particulier, la consommation connaît le développement le plus rapide du continent. Enfin, ce dernier est l’une des rares zones du monde à avoir évité la récession en 2009 et il est sorti de la crise financière relativement indemne. Le principal atout de l’Afrique du Sud réside dans le fait que ses sociétés sont capables d’exploiter l’immense marché qui s’ouvre au-delà des frontières du pays. En outre, la faiblesse de la concurrence constitue une opportunité pour les entre- prises qui fournissent la population croissante de consommateurs africains [2] ».

Déjà, le monde entier fasciné par les chocs de titans en culottes courtes s’agenouille devant le dieu massacreur du cuir, des crampons, des protège-tibias, des tacles, des shoots, des coups de boule et des machines à frapper multimillionnaires. Pour aller à contre-courant de cet « art de ramper à l’usage des courtisans » qui réduit tout un peuple à « une cire molle prête à recevoir toutes les impressions qu’on voudra lui donner [3] », brisons donc quelques illusions dévotes en mettant en exergue les principales caractéristiques de cette
« fête du ballon rond » et de cette « liesse populaire », comme disent tous les commentateurs crétins qui ont régressé au stade baballe.

1- Le capital le plus prédateur ainsi que toutes les maffias du monde vont s’abattre sur l’Afrique du Sud comme les prêtres catholiques sur les enfants de chœur afin de tirer le plus de profits possibles de cette grande mensualité commerciale.

« À présent, l’effet Coupe du monde se traduit par une politique de rénovation, une présence policière accrue mais aussi d’étranges pratiques. […] De nouveaux gérants dissimulés derrière d’obscures sociétés, sont apparus au cours des derniers mois. Ils ont multiplié les loyers par trois, quatre ou cinq et chassent les rares propriétaires. Les nouveaux maîtres des immeubles encaissent des fonds de la mairie destinés à la rénovation sans effectuer de travaux. Avec la Coupe du monde, il y a des gens qui sentent l’odeur de l’argent et qui veulent prendre tout ce quartier […] À l’Olympique, une boîte de nuit nigériane, on envisage l’avenir avec des appétits de carnassiers. À côté d’une poignée de fortunes constituées à Hillbrow de manière irracontable, des entrepreneurs nigérians arrivés en Afrique du Sud avec leurs capitaux se préparent à prendre d’assaut toutes les opportunités de la première économie du continent [4] ». Dans un tel contexte qui ne fait que reproduire à l’identique ce qui se passe dans tous les pays qui organisent des Jeux olympiques ou des Coupes du monde de football (nettoyage des quartiers, expulsion des habitants, rénovations luxueuses pour touristes fortunés, flambée immobilière, guerre des gangs pour empocher le pactole), les retombées économiques pour le peuple seront comme d’habitude mineures voire nulles. La plus grande partie des bénéfices tombera dans l’escarcelle des professionnels apatrides de la magouille. L’endettement des finances publiques sera encore creusé en raison des dépenses pharaoniques et mégalomaniaques engagées par Zuma et ses prédécesseurs pour plaire à la FIFA et ainsi paraître aux yeux du monde de l’argent le pays de la plus belle Coupe. « Comme souvent dans ce genre d’événement, le budget général semble avoir été sous-estimé. Le gouvernement a déjà admis que le coût pourrait être de 20 % plus élevé que prévu, passant de 1,7 à 2,05 milliards d’euros [5] »…… et aujourd’hui 4,5 milliards ! En clair : les riches vont s’enrichir et les pauvres s’appauvrir.

Les ouvriers qui ont construit les stades en un temps record ont concrètement vécu cette loi d’airain du capital footballistique et ont retrouvé pour un temps les réflexes de la lutte des classes. Ainsi, en novembre 2007, une première grève s’est déclenchée : « Les ouvriers réclamaient des bonus financiers, des allocations de transport et de meilleures conditions de sécurité sur le chantier [6] ». Une autre a suivi en février 2008 puis en juillet 2009 : « Les 70 000 ouvriers travaillant sur les sites de la Coupe du monde 2010 ont décidé de se mettre en grève à partir de demain. Ils réclament une hausse de salaire significative. Les employeurs ne peuvent attendre aucune mansuétude de notre part. Nous voulons 13 % ou bien nous seront en grève jusqu’en 2011 a déclaré Bhekani Ngcobo, négociateur du Syndicat des mineurs [7] ».

En effet : « Payés 221 euros par mois (2500 rands), [les ouvriers] récla- ment une augmentation de salaire de 13 %. La Fédération des employeurs du bâtiment (SAFCEC) propose une augmentation de 10%. […] Cette grève menace l’’avancement des travaux de construction de six stades neufs (Le Cap, Durban, Polokwane, Nelspruit, Soweto et Port Elizabeth), qui doivent être livrés le 1er décembre 2009. Les quatre stades en cours de rénovation (Johannesburg, Pretoria, Rustenburg, Bloemfontein) ayant été achevés. Les ouvriers demandent des augmentations de salaires afin de compenser la hausse des tarifs d’électricité qui ont fait un bond de plus de 30 % en mai. Les prix des produits alimentaires ont également augmenté de 12,3 %. Ces hausses de prix pèsent lourd sur les dépenses des plus pauvres dans un pays où 43 % de la population vit avec moins de deux dollars par jour. “Quand l’Afrique du Sud s’est vu confier la Coupe du monde, on espérait que les travailleurs de base allaient en récolter les fruits. Mais malheureusement, le Mondial ne va profiter qu’à ceux qui sont déjà riches”, s’indigne le négociateur du syndicat majoritaire, l’Union nationale des mineurs (NUM), auquel sont affiliés de nombreux ouvriers du bâtiment. Les investissements du gouvernement sud-africain pour ce Mondial sont évalués à 4,5 milliards d’euros [8] ». C’’est en renvoyant les promesses d’augmentation de salaires aux calendes grecques que les patrons ont fait reprendre le travail, mais aussi en embauchant des travailleurs moins exigeants, notamment nord-coréens, afin de casser la solidarité ouvrière : « Selon une source du gouvernement sud-coréen, reprise à la mi-mars par l’agence Yonhap, quelque 1 000 ouvriers envoyés par Pyongyang travailleraient notamment dans la Soccer City de Johannesburg et sur le stade Mbombela de Nelspruit, où la Corée du Nord doit affronter la Côte d’Ivoire le 25 juin [9] ». Les délires collectifs et les grandes communions éthylo-nationalistes autour des bafana-bafana dresseront devant cette sombre réalité un voile mystico-magique infantile et régressif. Mais tant que le ballon rond servira de fétiche à tout un peuple, au moins ne se révoltera-t-il pas contre les exploiteurs, les profiteurs, les esclavagistes et les vendeurs d’opium sportif.

— « La FIFA se porte à merveille sur le plan financier. Le président Joseph Blatter a précisé que l’instance qui gère le football mondial a réalisé un
résultat net de 196 millions de dollars en 2009. Pour la première fois, explique Jospeh Blatter, notre revenu annuel a dépassé le milliard de dollars. “Le marché fait confiance à l’Afrique du Sud (1,06 milliards de bénéfice juste pour cet événement !). Nous avons donc confiance et sommes aussi très fiers de pouvoir donner la Coupe du monde à l’Afrique qui, en retour, va offrir une belle compétition au monde. Seul bémol, le coût un peu élevé de l’organisation” [10] ».

— « Selon les estimations du cabinet Deloitte fournies à l’Unesco, les recettes commerciales de la Coupe du monde devraient s’élever à 850 millions de dollars (562 millions d’euros) par an sur quatre années pour la FIFA, tandis que celles générées par les grands championnats européens s’’élèveraient à 11,1 milliards de dollars (7,3 milliards d’euros). C’est sur ce total que Kevin Watkins suggère d’opérer une ponction annuelle
[de 0,4 % des recettes de la Coupe du monde et des grands championnats]. Le directeur d’Éducation pour tous a fait les comptes : la contribution anglaise (2,3 milliards d’’euros de recettes attendues) permettrait d’envoyer 140 000 enfants en classe, soit l’équivalent de 15 % des enfants non scolarisés du Ghana. Celle de la France (920 millions d’euros) financerait 10 % des enfants du Sénégal actuellement non scolarisés [……] [11] ».

— « Le comité [exécutif de la FIFA] a approuvé une hausse du montant des primes pour le Mondial 2010 qui passeront de 261 à 420 millions de dollars (173 à 279 millions d’euros). Le secrétaire général de la FIFA Jérôme Valcke a annoncé que la sélection qui remportera la Coupe du monde repartirait avec 31 millions de dollars (20,6 millions d’’euros) [12] ».

— « À moins de cent jours de la Coupe du monde en Afrique du Sud, les principaux équipementiers sportifs, Nike, Adidas et le petit poucet Puma, misent sur ce grand rendez-vous mondial pour redonner un coup de fouet au marché du sport.[…] Nike et Adidas affûtent leurs crampons, d’autant qu’en 2006 la dernière Coupe du monde avait dopé les ventes de maillots de 33 % et celles de chaussures de 15 % dans les cinq grands pays européens [13] ».

— « BNP Paribas annonce la mise en Bourse d’un certificat de type 100 % dédié à la Coupe du monde de football 2010. Ce certificat offre une indexation à l’évolution d’un Panier composé de 13 valeurs susceptibles de profiter de la crois- sance générée par la Coupe [14] ».

— « Zakumi, le léopard rasta mascotte de la Coupe du monde de football 2010 en Afrique du Sud, vit une période difficile. L’entreprise chinoise choisie par la FIFA pour produire les figurines et peluches à l’effigie du sympathique fauve a été priée de suspendre la production […]. Les employés de Shangai Fashion Plastic Products, sélectionnée par la FIFA pour produire 2,3 millions de jouets, faisait travailler ses ouvriers dans des conditions déplorables avec des adolescents travaillant plus de 13 heures par jour pour des salaires de moins de trois dollars. […] Quoi qu’il en soit, la production des figurines Zakumi ne serait pas menacée, ni le contrat de l’usine shangaienne […] [15] ».

— « Plus préoccupante mais moins évoquée : la crise énergétique. La société nationale d’électricité, Eskom, a promis qu’il n’y aurait pas de coupures […]. Un effort réel pour un pays où l’alimentation en électricité est de plus en plus erratique. Depuis quelques mois, Eskom a lancé de grandes campagnes pour pousser la population à faire des économies d’énergie et procède à des délestages par quartiers. Ces interruptions volontaires du service devraient se prolonger au moins pendant cinq ans [16] ». Voilà qui résume bien la situation : tout un peuple de déshérités lourdement frappés par l’apartheid pendant 43 ans se privera encore pendant des années pour qu’une minorité de légionnaires du ballon jouent à qui-pisse-le-plus-loin devant les caméras du monde entier. Décidément, cette Coupe du monde est vraiment une aubaine pour les Sud Africains !

2- La police et tout un arsenal sécuritaire vont être déployés afin de protéger les touristes des gangsters et canaliser les violences multiples des meutes et des hordes d’abrutis venus encourager leurs équipes de mercenaires en crampons.

Le risque d’actes terroristes étant très élevé, sans parler des violences ordinaires dans les townships, les pouvoirs publics n’’ont pas lésiné sur les moyens. Les villes sont quadrillées, le peuple est sous surveillance, les crasseux sont parqués loin des stades rutilants construits à la va vite par des ouvriers sous-payés. Non seulement les fanas de foot videront leurs fonds de poche pour aller
au stade, acheter de l’alcool et faire des paris sportifs mais encore seront-ils parqués, fliqués, fouillés, contrôlés sans cesse. Sous prétexte d’une « fête mondiale », c’est l’État policier, l’État big-brother qui progresse. À l’hygiénisation des rues correspond le lavage de cerveaux et l’asservissement de toute une popu- lation aux ordres des milices armées jusqu’aux dents.

— « En toute discrétion, le logiciel dernier cri d’interception de courriels vient d’être installé par une société française dans les locaux de la police sud-africaine. Trente et un mille fonctionnaires s’’apprêtent, d’ici l’an prochain, à investir, en vigie, les rues des principales villes du pays. En 2010, pas question de laisser ternir la réputation de la première Coupe du monde de football africaine. […] “On ne doit pas se louper sur un tel événement”, lance le super-intendant Vishnu Nadoo […]. “On sait que l’’on a l’un des plus hauts taux de criminalité au monde, mais nous avons déjà prouvé nos capacités en organisant de grandes compétitions, en cricket ou en rugby. Nous voulons éradiquer la peur. C’est dans cette optique que nous avons recruté 55 000 policiers depuis 2005”. […] Pour la prochaine Coupe du monde, où près de 500 000 touristes sont attendus, la police sud-afri- caine […] fera appel à 10 000 réservistes […]. Elle a consacré 50 millions d’’euros à l’’achat de matériel de sécurité, et pourra compter sur l’’appui de six hélicoptères. Interpol a été sollicité pour fournir une base de donnée sur les hooligans [17] ».

— « “L’armée de terre sud-africaine sera en état d’alerte pendant la Coupe du monde de football du 11 juin au 11 juillet et va renforcer les frontières dès le 1er avril”, a indiqué jeudi son commandant. […] L’Afrique du Sud envisage de renforcer sa législation contre les trafiquants, afin de
prévenir l’augmentation prévisible des trafics en tous genres autour
de la compétition. Une étude réalisée pour le compte du Parquet général avait mis en garde contre le risque d’accroissement du trafic de drogue et de la prostitution pendant le Mondial [18] ». Ce sont sans aucun doute des signes extérieurs d’’enthousiasme populaire lié à la passion dévorante du football !

— « Alors que les craintes autour de l’insécurité dans les grandes villes sud-africaines se font toujours sentir, un journaliste brésilien vient de se faire agresser en plein jour à Johannesburg. “Le climat en Afrique du Sud est pesant et le ressentiment est palpable”. C’est ce qu’a déclaré Cristiano Dias, journaliste au quotidien Estado de Sao Paulo, alors qu’il était interrogé par les médias locaux. “L’incident a eu lieu samedi après-midi, à la sortie du Carlton Center, l’un des plus grands centres commerciaux d’Afrique du Sud. J’ai été attaqué par neuf hommes armés qui m’’ont plaqué au sol. Ils ont pris mes papiers et mon argent, mais m’ont laissé la vie sauve, a raconté la victime. Avant d’ajouter : Depuis, je me demande si ce pays est ou non en état d’organiser un Mondial. Avec toutes les équipes et les supporters qui vont avec…” [19] ».

— « La nébuleuse terroriste, Al Qaïda, a bien l’intention de s’inviter en Afrique du Sud pour la prochaine Coupe du monde de football (du 11 juin au 11 juillet). Dans un communiqué publié sur le site jihadiste Mushtaqun, la branche maghrébine d’Al Qaeda cible un match en particulier : “Une rencontre entre les États-Unis et la Grande-Bretagne (le 12 juin, ndlr) diffusée en direct dans le monde entier et avec un stade rempli de spectateurs, serait une occasion parfaite. L’explosion gronderait à travers la planète et les cadavres se compteraient par dizaines, par centaines, si Allah le veut. La France, l’Allemagne et l’Italie sont aussi ciblées car tous ces pays font partie de la campagne sioniste-croisés contre l’islam” [20] ». Si une telle tuerie devait avoir lieu, des milliers de journalistes oseront encore dire que « le foot a été pris en otage »…

3- La mobilisation de masse des esprits autour de onze bandits manchots en tenue de camouflage aura des effets psychologiques de foule sur l’ensemble du corps social de chaque pays participant.

Les matches seront comme d’habitude l’occasion de scènes d’hystérie collective qui fourniront toutes les possibilités de manipulation affective et émotionnelles pour les forces politiques en place. Déjà, « la population a été appelée [par les organisateurs du Mondial] à jouer du vuvuzela, sorte de corne de brume en plastique, et à entonner l’hymne national. Les écoliers abandonneront également leurs uniformes scolaires pour endosser le maillot du Onze national. Dans plusieurs centres commerciaux, des danseurs professionnels enseigneront aux chalands le diski, la chorégraphie officielle du tournoi. […] Le pays se concentre désormais sur son image pour rassurer les supporters étrangers rendus frileux par une criminalité record et la flambée des prix dans les transports et l’hébergement [21] ». Derrière la mise au pas “festive” se cache un endoctrinement politique ravageur et un lavage de cerveau consumériste à grande échelle. C’est la raison pour laquelle le football, notam- ment à l’’occasion des Coupes du monde, est un élément de fascisation idéologique et pulsionnelle considérable. L’osmose totale d’une seule foule criant sa joie de la victoire nationale à la face d’un régime est le symbole même de cette mise au pas fascisante. Le ballon rond est donc aujourd’hui le meilleur exportateur du fascisme quotidien sur la planète. Il est fort à parier que de vieux réflexes de l’apartheid ressurgiront à l’occasion de cette folie politique et feront régresser de trente ans un peuple qui vit d’espoirs et d’illusions déçus.

— « Le leader d’extrême droite sud-africain Eugène Terreblanche, farouche partisan de l’apartheid, a été tué samedi après une querelle avec un employé, un meurtre qui semble non politique mais intervient sur fonds de tensions raciales toujours vives, 16 ans après la fin de l’’apartheid. Dès le meurtre connu, le prési- dent Jacob Zuma a appelé les Sud-Africains au calme et a mis en garde dans un communiqué “contre toute provocation qui attiserait la haine raciale”. Le Mouvement de résistance afrikaner (AWB) d’Eugène Terreblanche a déclaré dimanche qu’il le vengerait mais a demandé à ses membres de rester calmes et de ne pas réagir immédiatement. “Contrairement à ce que veulent nos membres, nous leur demandons de rester calmes pour le moment”, a déclaré André Visagie, le Secrétaire général de l’AWB. M. Visagie a précisé que le mouvement se réunira le 1er mai pour décider de son action future. “Nous déciderons des actions pour venger la mort de M. Terreblanche. Nous allons agir et choisir des modes d’action spécifiques. Nous les déciderons lors de notre conférence”. André Visagie a également recommandé aux équipes de football d’’éviter de se rendre à la Coupe du monde qui doit débuter en juin prochain dans le pays [22] ». Le football rapproche les peuples et les classes sociales dans un grand élan d’amitié, c’’est bien connu !

— « La Coupe du monde, qui s’ouvre le 11 juin en Afrique du Sud, soulève un intérêt croissant pour le folklore footbalistique du pays. Les makarapas, objets d’artisanat façonnés au fil des années par les amoureux du ballon rond, n’ont pas échappé à l’engouement : ces casques de mineurs découpés et peints aux couleurs d’un club sont désormais produits à la chaîne. Dans un coin de l’atelier, un bras robotisé cisaille le plastique, accomplissant en un instant le travail de découpage qui prenait des jours pour chaque pièce unique portée avec fierté par les fans des grands clubs de Soweto, le fameux township au sud-ouest de Johannesburg. “Il y a deux phases difficiles dans la confection de cet objet : le découpage et la pein- ture. Je me suis dit que si nous réduisions le temps de découpage ça permettait d’en peindre plus”, explique l’architecte Paul Wygers, inventeur de la machine. La Fédération internationale de football (Fifa) lui a commandé 2000 de ces couvre-chefs emblématiques, nés dans les années 1970 de l’imagination d’un fan des Kaizer Chiefs, l’un des clubs de Soweto, qui avait eu l’idée de découper et de décorer un casque. Face aux centaines de milliers de visiteurs annoncés pour le Mondial, l’artisanat du foot sud-africain subit sa révolution industrielle. Les vuvu-zelas, trompettes en plastique dont les barrissements retentissent à chaque match dans le pays, se déclinent ainsi sous toutes sortes de formes, de tailles et de couleurs. Et pour les casques, une autre société propose des autocollants spéciaux aux couleurs des 32 pays en compétition [23] ». La panoplie du parfait crétin se produit donc désormais à la chaîne, installant dans l’’esprit des hommes la violence de la société industrielle [24]. Ainsi se répand la mystification des masses par le football.

4- L’Afrique du Sud va subir une opération de lifting et de détartrage pour sourire à pleines dents aux cash-machines, aux devises des touristes et aux gouvernements qui viendront faire leur marché.

« Hôtels, magasins, restaurants et discothèques fleurissent à Soweto, township branché au sud de Johannesburg, où de nombreux touristes ont choisi de séjourner pendant la Coupe du monde de football. Situé à quelques kilomètres du stade flambant neuf de Soccer City, calebasse colorée de plus de 90 000 places qui accueillera le match d’ouverture et la finale du Mondial (11 juin/11 juillet), Soweto fait le plein pour la compétition. “Avant, on avait honte de dire qu’on venait de Soweto, c’était synonyme de criminalité, bidonville et pauvreté”, rappelle Frans Malotle, propriétaire d’une des maisons d’hôtes de plus en plus nombreuses dans cette ville à part entière, où vit un tiers des 3,8 millions d’habitants de Johannesburg. “Maintenant, les gens veulent séjourner dans les townships. Notre B&B est complet durant le tournoi”, assure-t-il. Non loin de là, depuis le hall d’entrée d’un hôtel quatre étoiles, d’immenses portraits d’un Nelson Mandela tout jeune regardent en contrebas la rue poussiéreuse où les militants anti-apartheid ont affronté la police il y a 34 ans […] Soweto est passé du statut de township à celui de ville, avec ses centres commerciaux, ses rues goudronnées et une criminalité en baisse, résume Garth Klein, expert en développement urbain à l’Université de Witwatersrand (Johannesburg). Les petits magasins abondent et un centre commercial, le Maponya Mall, permet aux résidents de faire toutes leurs courses sur place. Les bidonvilles demeurent une réalité. Mais les petites maisons de briques de la classe moyenne s’étendent presque à vue d’œil, côtoyant des quartiers aux villas luxueuses comme celle de Winnie Madikizela-Mandela, l’ex-femme du héros [25]. ».

La Coupe du monde, cette trancheuse d’hommes qui passe à la moulinette les classes sociales et les ethnies les plus fragiles, va produire un spectacle mégacapitaliste où toutes les orgies symboliques vont annexer des milliards de petits et grands écrans. Le show est archi prévisible : nous aurons des buts spectaculaires, des « actions » fantastiques, des matchs à « haute intensité », des gestes « fair-play » dans une ambiance « virile ». Il y aura des « drames », des blessures, des expulsions, des injustices, des pleurs, des liesses, des accolades mêlant les corps dans l’’ivresse du néant. Pour mettre en scène cette tromperie universelle, il a fallu balayer le plancher pour arranger le décor. Ainsi, comme lors des JO de Pékin [26], place nette fut faite : bidonvilles rasés, population expulsée (voire déportée), afin de mettre en place l’illusion de villes « propres », animées par une population unie, soudée par un « multiculturalisme » factice. De nombreux exemples historiques démontrent cette politique de l’arrangement du décor, conceptualisée par Erving Goffman [27]. Dans toute configuration totalitaire se révèlent des stratégies de dissimulation, destinées à camoufler la barbarie infligée aux peuples soumis, victimes d’’une idéologie exter-minatrice et de son application rationalisée. L’exemple le plus éloquent est sans doute celui dont parle le roman de Patrick Cauvin : « En 1944, la propagande nazie fit tourner un film destiné principalement aux représentants de la Croix-Rouge internationale, intitulé Le Fürher offre un village aux Juifs. On y voyait, dans une atmosphère de joie et de travail, évoluer des Juifs “heureux” dont la plupart furent exécutés après le tournage. Ce fut sans doute par l’’intermédiaire du cinéma, l’’acte de mystification le plus cynique et le plus tragique qui ait été commis [28] ».

Si les acteurs de la Coupe du monde n’ont rien à craindre pour leur vie de Bœufs du stade, (à part le syndrome du blues du footeux qui le conduit à avoir des relations sexuelles sur mineures [29]), les malheureux habitants des citées sud-africaines en paieront évidemment les conséquences, et pour très longtemps. Car présenter à la face du monde l’image d’une Afrique du Sud rassemblée et bien propre sur elle passe par la démolition d’un pan de la culture de millions d’individus, dont l’image est éclipsée, voire symboliquement niée par les affichages publicitaires du capitalisme destructeur. Pour que des centaines de milliers de supporters puissent bénéficier de leur train de vie usuel, une acculturation destructrice et une soumission aux valeurs du fric vont réguler les rapports humains pendant un mois de grand show planétaire. Quand tout sera fini, il faudra de nouveau balayer le plancher, les gobelets en carton Coca-Cola, les sacs Mac Donald, les préservatifs des mâles occidentaux venus souiller femmes et terres africaines en prétextant l’enthousiasme collectif soulevé par un pseudo élan de fraternité universaliste [30]. Le rangement du décor présentera dès lors pour les Sud Africains « dégrisés » un coût bien supérieur à l’arrangement du décor.

Pourtant, en France, tout le monde se prépare au carnaval des animaux de la jungle capitaliste : les journaux ne parlent que de ça, la tension monte dans la République transformée en « stadio communale ». Rama Yade a appelé le peuple français à une « mobilisation totale » en ce sens que nous devons tous devenir le 12e homme de l’équipe de France [31]. C’est une question de civisme et d’identité nationale. Nombreux, de l’extrême à gauche à l’extrême droite, en sont d’ores et déjà ravis ! Besancenot, déjà grand fan du PSG, ce club de néo-nazis contrôlé par des patrons véreux, ne voit sûrement pas plus de contradiction à soutenir l’équipe de France pour le bien des prolétaires qu’à présenter une candidate voilée pour la libération des femmes. Buffet, déjà peinturlurée bleu-blanc-rouge en 1998, va ressortir écharpes et trompettes et faire du ballon rond, « source de rêve incomparable », le petit père des peuples paupérisées. Le couple à trois Bové, Cohn-Bendit, Joly, sous la direction de Dany le shooté du shoot, ne manquera sûrement pas de mettre le nez dans le gazon et de sniffer quelques lignes blanches. Les fêtes nationalistes et beuglantes, c’est tellement peuple et terroir ! Aubry rejoindra tout ce beau monde pour célébrer l’extase citoyenne du sport, la valeur d’exemple des joueurs, l’éthique du « vivre ensemble » du sport. Et là, en plein mois de juillet, quand les meneurs syndicaux seront également rivés à leurs écrans pour soutenir les « bleus », nous saurons que personne ne sauvera le régime des retraites ! Pas même le nouveau philosophe Lilian Thuram ! L’appel de Yade qui sera bien sûr relayé par Sarkozy en temps voulu, n’a suscité aucun commentaire, aucune critique mais un consensus fort fondé sur le rêve d’une nouvelle victoire de la France, avec défilés sur les Champs-Élysées, écrans géants sur les grandes places et tout un peuple bariolé scandant « on a gagné » avec deux ou trois grammes d’alcool par pantoufles. Un nouveau « coït extatique », un nouvel « orgasme national de la victoire », comme disait Edgar Morin pour qualifier l’élan de chauvinisme suscité par la victoire de l’équipe de France en 1998, se prépare donc. Cela fera les beaux jours du gouvernement qui voit très bien comment tirer un profit politique de la bouffée délirante des masses populaires. Tandis que les soi-disant
« penseurs critiques » ou la « gauche contestataire », pour qui les aventures de la marchandise ou les idéologies politiques du capital s’arrêtent aux grilles des stades [32], répondront en écho par un
« allez la France » décomplexé...