En 1729, un curé de campagne, Jean Meslier, né en 1664, exerçant depuis quarante ans dans la même paroisse d’ Etrépigny non loin de Reims, disparait. Son décès ne fut pas inscrit dans le registre paroissial et son corps fut inhumé à la sauvette. Sa tombe ne sera jamais retrouvée. Il laissait à sa mort un épais manuscrit intitulé « Mémoire de mes pensées et sentiments », texte plus connu sous le nom de « Le testament ». 1200 pages manuscrites dans lesquelles il dénonçait le lien unissant les rois, les nobles et les prêtres, et proposait que l’on se débarrassât de tous les puissants, regrettant au passage l’absence de généreux assassins pour en finir avec les Césars... Dénonçant avec force « la servitude volontaire » qui permet aux injustices d’accabler le peuple en cette épouvantable fin de règne sous Louis XIV. Il s’efforçait d’y démontrer l’absurdité de la religion et son rôle idéologique dans la nature pérenne de l’oppression.
Dans le panthéon intime que chacun entretient, afin d’y puiser sans doute un peu de cette force qui parfois l’abandonne lorsque le doute, la dépression et l’abattement assombrissent ses humeurs, Spinoza taillant des verres le jour et révolutionnant la pensée philosophique la nuit, Spinoza doublement excommunié, Kafka rouage de l’administration délirante de l’Empire Austro-hongrois, écrivant la nuit, sont assurément de ces figures qui ornent son frontispice. En bonne justice, il conviendrait d’y ajouter Jean Meslier. Curé le jour, athée la nuit, et associant la religion et le pouvoir dans les mêmes méfaits, « communiste libertaire » de surcroît.
Voltaire le fera passer à la moulinette de son déisme et trahira sa pensée allégrement. D’Holbach, sera plus honnête et plus attentif aux propos du curé perdu dans une campagne désolée des alentours de Reims. Il faudra attendre 1965 pour que, par les bons soins de Maurice Dommanget, les curieux et les esprits rebelles retrouvent sa trace. Michel Onfray, en 2005, reviendra sur ce personnage hors norme dans ses cours dispensés à l’Université populaire de Caen. C’est dire si le manuscrit de ce curé s’acharnant à combattre la religion par les racines, dans la solitude de son presbytère, en un temps où de telles considérations étaient inaudibles, et en un temps où l’on risquait le bucher (rappelons qu’en 1776 le Chevalier de la Barre a été torturé et brûler pour la plus grande gloire de l’Eglise), n’a pas connu la notoriété qu’il eût méritée. Partisan d’un communisme agraire fondé sur la liberté d’association, partisan la liberté sexuelle, il ne sera pas lu par Gracchus Babeuf et les Enragés, et, hélas, d’une façon générale mal connu puisque lu à travers les tripatouillage de Voltaire.
Les éditions libertaires nous offre l’occasion de redécouvrir ce personnage atypique. Ce livre est une présentation vivante de la vie et de l’œuvre de Jean Meslier et mérite que l’on y consacre le temps nécessaire à sa lecture.