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Jorinde Reznikoff et Klaus-Peter Flügel
Les chansons furieuses de Peter Hein
du groupe punk allemand FEHLFARBEN
Article mis en ligne le 16 mars 2010
dernière modification le 7 mars 2010

Fehlfarben fait partie des groupes emblématiques du punk allemand.
Fondé en 1979 à Düsseldorf et Wuppertal, autour du chanteur Peter Hein, le groupe a traversé bien des tempêtes, des dissolutions et des refondations pour ressurgir le 12 février 2010 avec un album aussi fort et furieux qu’il y a trente ans : « Glücksmaschinen » [machines à bonheur].

http://www.youtube.com/watch?v=-Zi5HK6L3Ao

— Que signifie pour toi le mouvement punk [1] ?

Peter Hein : Comme au début, tout simplement de la musique géniale, s’habiller bizarrement, démonter les parents, renverser les gens. Et plus que ça, on avait des idées. Non pas qu’on soit devenu penseur. Mais reconnaître les abus, les dénoncer, ou s’en moquer, mettre aux enchères les limites, pour moi la musique était décisive, la bonne, bien entendu ! En ce sens, j’étais dictatorial, mégalomane

— C’était quoi, la bonne musique ?

Peter Hein : En 1976/1977, ça allait des Damned en passant par le Clash jusqu’aux Jam. Cette sonorité classique des trois accords crus sur la guitare. C’était génial. Après cette phase qui n’a guère duré qu’une année, sont arrivés les groupes électroniques comme Cabaret Voltaire ou Human League. Quelque part toujours du punk, mais en fait absolument plus du tout, même s’ils s’en revendiquaient. C’était plutôt l’art d’une époque. Et puis s’acheter des trucs du Modern Jazz Quartet ou des chansons de Jaques Brel en veste de cuir, c’était extra, même sans les faire écouter à quiconque !

— Votre nouveau CD « Glücksmaschinen » est une bande son de la situation socioéconomique actuelle, bien plus inquiétante qu’il y a vingt ou trente ans…

Peter Hein : C’est un peu ça. J’ai conçu nos disques toujours de cette manière. Tous nos CDs ont été et sont des bande son de l’époque. Maisce n’est pas perçu ainsi. Tant les paroles que le son seul importent.

— Dans ce nouvel album il y a une colère inquiétante qui ne transparaît pas dans notre entretien. Ce n’est pas au niveau de la voix, mais de l’expression, il y a dans l’album une fureur lyrique…

Peter Hein : Oui, là où cela s’impose. Cela a toujours été ma volonté dès le départ, même lorsque je jouais dans les groupes sans qu’il y ait d’enregistrement.

Un CD normal, produit par nous-mêmes, contiendrait sûrement trois autres morceaux plus calmes, dans lesquels je ne crierais pas autant. Mais Moses Schneider, notre producteur, a plaidé pour une réduction du nombre des titres et a pensé que cela suffisait. En fait, on ne crie pas toute la journée, n’est-ce pas ?!

— La dernière question vise l’intensité du dire et du vouloir sur l’arrière-fond de ce besoin de clamer. Comment survivre sans se révolte ?

Peter Hein : Ce n’était pas particulièrement voulu. Ce n’était pas toujours l’intention des Fehlfarben, en revanche dans Family Five [autre groupe de Peter Hein], la règle était de jouer toujours plus fort et en même temps. Le punk rock… ça n’apporte rien. Cette façon de hurler, de gueuler, d’appeler la merde simplement la merde, ça n’allait pas plus loin et en fait je ne proposais rien. Je ne fais rien d’autre que dire que la merde est en train de chauffer. Et c’est assez grave que peu de groupes le disent. Je suis étonné de voir qu’on peut aller loin avec peu. Et cela a toujours été ainsi dans le punk rock. Il suffisait d’avoir l’air bizarre, et on risquait de se faire tabasser.

C’est terrifiant, et c’est pour cela que je le fais, sinon je pourrais me contenter d’écrire des paroles. Bien entendu, dans le passé nous avons enregistré également des morceaux méditatifs dans lesquels nous ne hurlions pas.

— Mais elles sont tout de même lyriques tes chansons. Je dirais même furieusement lyriques…

Peter Hein : Oui, oui ! La chanson rebelle lyrique ou la chanson d’amour politique sont mes thèmes fondamentaux. C’est tout ce que je sais faire.

— Et tu sais bien le faire !

Peter Hein : Justement. C’est pour cela que j’ai laissé de côté le troisième type de chanson. Car là, j’ai échoué. Je parle de la chanson de supporteur de sport, drôle celle là. Mêmes les chansons de sport drôles que j’avais commencées sont toujours devenues des chansons de sport révoltées. La chanson de sport révoltée ne va pas mal. Même en tant que supporteur de football on peut se moquer et dénoncer l’adversaire.

— Sur ton album « Knietief im Dispo » de 2002 [Jusqu’au genou à découvert] il y a le titre L’Internationale. C’est une prise de position d’ordre politique, une réflexion pour savoir comment se révolter contre les états capitalistes ?

Peter Hein : Oui, et surtout il y a un certain risque dans les revenus surfaits de certains personnages… Donc il y a un côté satyrique qui va avec. 1789 était tout simplement mieux que 1989 [année de la réunification allemande], 1789 a été positif. Même si je ne sais pas l’expliquer théoriquement, je vois cela ainsi.

— Et tu n’es pas le seul ?

Peter Hein : Probablement, mais il n’y a pas grand monde.

— C’est le dilemme !

Peter Hein : C’est justement le dilemme.

www.fehlfarben.com


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