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Christiane Passevant
Michal Schwartz. La lutte dans la vie (3)
Femmes dissidentes au Moyen-Orient
Article mis en ligne le 15 mars 2010
dernière modification le 1er août 2023

J’ai revu Michal en 1995, à Paris. Elle venait présenter, avec Samya Nasser, l’École des mères de Majd al-Krum [1], le centre culturel d’El Baka’a [2] et la coopérative pour une pépinière constituée avec des Palestiniennes. Une exposition des dessins d’enfants était également organisée avec l’aide du peintre Nissan Rilov [3]

Pendant les années qui ont suivi les accords d’Oslo de 1993, nous sommes restées en contact. La situation en Israël et dans les territoires palestiniens occupés s’est aggravée. Contre toute attente, les accords n’apportaient aucune amorce de solution de paix ou de justice pour la population palestinienne. D’ailleurs avait été écartée des négociations une représentation importante de la société civile palestinienne, notamment Haider Abdel Shafi, Hanane Ashwari et Faisal Husseini. Conclus entre le Fatah — composante principale de l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP) en exil — et le gouvernement israélien, sous l’égide du gouvernement étatsunien, les accords plaçaient la Palestine sous l’autorité de militaires peu disposés à travailler avec les forces populaires issues de l’Intifada de 1987. Malgré leur médiatisation, les accords ne réglaient aucune des revendications, comme l’arrêt de la colonisation israélienne des terres palestiniennes, la souveraineté d’un État palestinien ou le retour des réfugi-é-s. L’essentiel était relégué à un futur hypothétique.

Malgré l’immense espoir suscité par les accords d’Oslo, leur genèse arbitraire et non démocratique ne pouvait qu’aboutir à un pourrissement de la situation. L’espoir et le retour d’un grand nombre de Palestinien-ne-s de la diaspora étaient suivis d’une amère désillusion. L’accélération de la colonisation ne se dissimulait plus, l’implantation de colonies de peuplement était un fait accompli.

L’assassinat de Yitzhak Rabin par un jeune extrémiste israélien [4], en novembre 1995, amena Benjamin Netanyahu au pouvoir. Ce dernier vit dans les accords d’Oslo des concessions inacceptables et les apparences des accords de paix ne furent même pas honorées par le nouveau gouvernement israélien. L’infléchissement de la violence devint dès lors très net. La volonté des Israéliens de ne pas respecter le principe même d’un règlement encouragea l’opposition palestinienne, en particulier le Hamas [5], à avoir recours aux attentats pour répondre à la répression quotidienne dans les territoires toujours occupés et colonisés. L’engrenage qui s’en est suivi découle directement d’un pacte qui n’était fondé ni sur la bonne volonté ni sur des procédés démocratiques. Sous couvert de paix, les accords d’Oslo ont accentué la pauvreté et l’enfermement des Palestinien-ne-s dans les territoires gérés par l’Autorité palestinienne, mais sous contrôle israélien.

L’analyse est aujourd’hui évidente : les accords d’Oslo ont contribué à l’intensification de la violence et de la misère en Palestine et en Israël. Les étapes de cette escalade sont claires et le processus transparent. En 1995, Netanyahu et ses réformes néolibérales instaurent des tensions au sein de la population et contribuent à la corruption des élites. Côte palestinien, la militarisation de la société et l’émergence du Hamas comme force politique divise la population. La surenchère de la violence correspond non seulement aux frustrations populaires mais également aux besoins démagogiques des formations politiques rivales. Dans ce contexte, on comprend mieux l’échec des tentatives de conciliation du gouvernement étatsunien à Rye Plantation en 1998 et à Camp David en 2000, alors sous la présidence de William Clinton.

L’élection de George Bush en 2001 et presque simultanément, d’Ariel Sharon comme Premier ministre ont accéléré une dérive déjà entamée. En septembre 2000, la provocation de Sharon se rendant sur l’esplanade des mosquées enflamma la rue palestinienne. Le début de la seconde Intifada [6] fournit alors un prétexte au gouvernement Sharon de mettre les territoires « autonomes » de la Palestine à feu et à sang.

Depuis, l’horreur et la misère atteignent leur paroxysme. En 2002, Sharon lance une offensive contre les villes palestiniennes détruisant les infrastructures civiles. L’opération « Rampart » est justifiée par la
« guerre contre le terrorisme » et est en quelque sorte sacralisée par le gouvernement Bush. Toute opposition devient l’objet de la répression sans respect des lois ou des principes humanitaires. Les exécutions extrajudiciaires — assassinats ciblés de militants palestiniens — se multiplient. Des missiles sont tirés à partir d’hélicoptères sur les cibles définies par l’armée israélienne comme dangereuses pour la sécurité d’Israël, mais de nombreux civils palestiniens sont tués. Les forces armées démontent les « réseaux terroristes » en bombardant la population.

En avril 2002, la ville de Jénine est le théâtre d’un massacre. Un général israélien évoqua l’écrasement du ghetto de Varsovie comme modèle à suivre. Le nombre de victimes reste encore inconnu, beaucoup d’entre elles étant ensevelies sous les décombres.

Le 16 juin 2002 marque aussi le début de la construction du mur de séparation, au nord de la Cisjordanie, sans souci de la ligne verte de 1967. Les expropriations s’accélèrent, les villages sont isolés des terres ou détruits, les oliviers arrachés.

Le coût du mur de Qalqiliya, près de Jérusalem, est de 420 000 euros le kilomètre. Le résultat de cette escalade sécuritaire ? Apartheid, ghettos, déshumanisation de l’autre. Comment comprendre cette évolution ? Quel est l’espoir dans une situation dramatique et qui paraît sans issue ? C’est de cela dont j’ai voulu parler avec Michal Schwartz.

Cette nouvelle rencontre avec Michal Schwartz se situe en pleine campagne électorale israélienne, en mars 2006. C’est très naturellement qu’elle a accepté une autre interview malgré sa participation à la campagne. Après une réunion politique, rendez-vous est pris près de Wadi Salib, un vieux quartier arabe de Haïfa, presque totalement abandonné et en ruine. Un quartier qui devait disparaître, mais dont quelques maisons sont en cours de réhabilitation comme si l’on découvrait soudain l’intérêt de l’architecture traditionnelle de ses maisons et le charme de sa situation, au-dessus du port. Avec Michal, je découvre certains côtés de la ville, toute en collines. Son quartier est populaire, la mixité sociale y est encore présente. Une ville bien différente de Jérusalem qu’elle habitait lors de nos premières rencontres. La tension, que l’on perçoit à Jérusalem, n’existe pas ici. Peut-être parce que Haïfa est traditionnellement laïque et que la ville a été gérée, sous mandat britannique, conjointement par un maire arabe et un maire juif. L’impression laissée par Haïfa est la vision d’une série de quartiers, d’enclaves qui se superposent et descendent vers la mer. La ville paraît plus ouverte que Jérusalem ou Tel-Aviv, au plan culturel et dans sa structure même.

Chez Michal, des photos, des affiches, des livres et des revues. La revue Challenge à laquelle elle participe depuis sa création.
Nous évoquons la situation politique autant en Israël que dans les territoires occupés et les changements politiques et sociaux depuis ces dix dernières années.

— Le FPLP et le FDLP [7] sont à présent quasi inexistants ?

Michal Schwartz : Effectivement, mais ce n’est pas si simple. Au lieu de construire une gauche alternative, le FDLP et le FPLP ont voulu travailler avec le Fatah et les islamistes. Ils ne sont pas dans l’opposition, contrairement au Hamas. Ils se sont en quelque sorte effacés devant le Fatah. Et maintenant, ils payent le prix. Ils ont pratiquement disparu.

— Concernant le mouvement ouvrier et sa résurgence dans la région, on peut dire que le FPLP et le FDLP ont une orientation marxiste.

Michal Schwartz : Ils ont eu, par le passé. Je parle de mouvement dans le contexte actuel. Nous travaillons et discutons avec des ouvriers dans le cadre de la campagne électorale. L’un d’eux faisait cette réflexion à propos de la victoire du Hamas : « Que peuvent faire les Palestiniens sans alternative ? » Et j’ai répondu : « Que faisons-nous aujourd’hui ? Ne sommes-nous pas en train de construire un mouvement alternatif de gauche ? » La question demeure néanmoins : Pourquoi les Palestinien-ne-s ne font-ils pas la même chose en Palestine occupée ?

— C’est sans doute plus difficile à réaliser en Palestine occupée ?

Michal Schwartz : Ce n’est pas la question. Les Palestinien-ne-s ne craignent pas la prison, ils y sont restés des années pour certain-e-s. C’est une question de perspective politique. Tout le peuple palestinien vit sous occupation, c’est pourquoi il faut s’unir. L’Autorité palestinienne a collaboré avec les autorités israéliennes d’occupation, et en a profité. Elle s’est même compromise avec les officiels israéliens. Quant aux accords d’Oslo, ils ont eu pour résultat de priver les ouvriers palestiniens de travail en Israël. Cela faisait partie des accords. Oslo a été bénéfique pour la bourgeoisie israélienne qui peut maintenant vendre ses produits et ouvrir des usines dans des pays arabes qui leur étaient auparavant fermés. En revanche, pour les Palestinien-ne-s, l’accès au travail leur a été interdit en Israël. Un mur invisible existait bien avant la construction du mur. Cela a commencé en 1993 avec l’importation d’une main-d’œuvre étrangère en Israël en provenance de Thaïlande, de Roumanie, en remplacement de la main-d’œuvre palestinienne. Les conséquences ont été catastrophiques pour les Palestinien-ne-s des territoires occupés, notamment dans les secteurs du bâtiment et de l’agriculture. Sans emplois, c’était le chômage et une très grande pauvreté. Les accords d’Oslo ont été bénéfiques pour la bourgeoisie, mais certainement pas pour la classe ouvrière.

— Penses-tu que les Palestinien-ne-s, qui vivent sous occupation et dans des conditions difficiles, ont cette vision de la situation ?

Michal Schwartz : Je suis souvent allée dans les territoires occupés en tant que journaliste, moins à présent, et toutes les personnes rencontrées exprimaient alors les mêmes griefs concernant la corruption de l’Autorité palestinienne. Alors, je ne vois pas pourquoi la création d’un mouvement alternatif serait impossible. Toutefois, il faut avoir une vision de ce mouvement.

— L’objectif d’un État palestinien est-il une priorité, un enjeu, une possibilité pour l’Autorité palestinienne ?

Michal Schwartz : La question d’un État a disparu, anéanti par les accords d’Oslo. L’autonomie résultant d’Oslo n’est pas un État. Si l’on parle aujourd’hui d’un État palestinien indépendant, c’est un slogan qui contente tout le monde. Mais ce sont seulement des mots. Aujourd’hui, en tant que militante politique, j’aborde la question du chômage, des conditions de vie, de la création de syndicats, de syndicalisation, de la lutte pour que les ouvriers palestiniens puissent travailler en Israël, bref des choses concrètes pour mobiliser et faire prendre conscience. Mais brandir uniquement des slogans sur l’indépendance de la Palestine sans les forces politiques et sociales nécessaires, ce n’est pas crédible. C’est pourquoi beaucoup sont sensibles à notre discours.

Il y a trois partis arabes en Israël, hormis le nôtre [8], le parti communiste [9], le parti du Front démocratique pour la paix et l’égalité [10], et le parti islamique. Les trois brandissent le même slogan : « Libérer Jérusalem, Al Aqsa et la Palestine ! » Mais personne n’y croit plus car ils ne font rien. Ils ne peuvent d’ailleurs rien faire compte tenu du rapport des forces. Il faut d’abord sortir la population des difficultés quotidiennes : le chômage, le manque d’argent, la faim et le désespoir. Il faut mobiliser sur l’urgence de la situation, sur le travail et un revenu décent. Construire un mouvement sans tenir compte de la situation est une aberration. Ceux et celles qui ont soutenu les accords d’Oslo et l’Autorité palestinienne comprennent à présent que c’était un piège.

— La situation est urgente, mais elle est également liée à la question de la colonisation, des colonies de peuplement et à la question du transfert de la population palestinienne dans les territoires occupés.

Michal Schwartz : C’est vrai. Lorsque les responsables palestiniens refusèrent d’aller à Oslo, les discours étaient clairs sur l’État palestinien et les colonies. Mais avec la signature des accords dans lesquels l’Autorité palestinienne acceptait des colonies, ils se sont vendus. Depuis 1993, tous les gouvernements israéliens quel qu’il soit — travailliste ou du Likoud — ont accéléré la construction des colonies de peuplement comme jamais auparavant. Où sont les forces politiques qui en parlent et proposent des solutions ? Comment travailler ensemble sur la question ? Le Hamas propose la solution islamiste qui est inacceptable. La proposition ramènerait la population palestinienne à des centaines d’années en arrière. Pour être réaliste, il ne s’agit pas de créer un mouvement seulement en Israël. Sans vivre moi-même dans les territoires occupés, je crois qu’il faut avoir une perspective politique, plutôt de la classe ouvrière (working class), en Palestine qui ne vienne ni du Hamas, ni du Fatah, ni de l’Autorité palestinienne.

— Que veux-tu dire par une perspective de la classe ouvrière ?

Michal Schwartz : Que l’on fasse la guerre ou la paix, il faut prendre en considération ce dont les travailleurs ont besoin. Ce qui n’a pas été le cas dans les accords d’Oslo ni dans n’importe quel autre processus politique. En 1993, nous avons publié des articles disant que les accords d’Oslo empêcheraient les Palestinien-ne-s de venir travailler en Israël et nous étions évidemment contre. Mais personne ne posait les questions dans ces termes. Il était suffisant alors de parler de paix. Faut-il savoir encore de quelle sorte de paix ?

— Les accords d’Oslo ont aussi permis d’arrêter la première Intifada.

Michal Schwartz : Il fallait arrêter l’Intifada pour laisser la place à l’Autorité palestinienne qui était corrompue. L’une de ses décisions fut l’ouverture d’un casino. Ce casino était une insulte pour les Palestiniens, en particulier pour les réfugié-e-s qui vivaient dans le camp en face du casino.

— Ce casino fonctionne-t-il encore ?

Michal Schwartz : Il a été fermé durant la seconde Intifada. Les propriétaires, qui venaient d’Autriche, ont depuis tenté d’en construire un autre à Eilat, mais plusieurs scandales impliquant la famille Sharon a mis un terme au projet. Je n’en sais pas plus sinon qu’il s’agit d’une affaire de corruption.

— Quelles sont les actions des syndicats palestiniens ?

Michal Schwartz : Ce sont les syndicats mis en place par l’Autorité palestinienne. Nous les avons contactés à plusieurs reprises pour lutter ensemble pour l’ouverture des frontières aux travailleurs palestiniens, mais ils n’ont pas semblé intéressés. Ils travaillent avec la Histadrout [11] qui les finance en partie. C’est une institution bureaucratique. Pour créer un syndicat palestinien, il faut reprendre du début après une mise à plat.

— La solution de deux états est-elle possible ?

Michal Schwartz : Dans la situation actuelle, non. Il faudrait qu’il se passe quelque chose aux Etats-Unis et un autre équilibre des forces internationales. Les Etats-Unis sont la clé du problème dans la région ; notre économie est entièrement dépendante d’eux et de la globalisation. Ils ont fermé nos usines pour les délocaliser en Jordanie et en Chine, les entreprises de textile par exemple. La construction des maisons est impossible à exporter, donc on importe des travailleurs de Roumanie. Cela ne ressemble en rien à l’immigration en France ou en Europe. Les États signent des accords spéciaux avec l’État israélien pour faire venir des travailleurs qui, arrivés ici, sont privés de leur passeport. C’est un commerce d’esclaves, ce n’est pas une immigration libre.

— Comme dans les colonies d’Amérique du Nord du XVIIe au XVIIIe siècle, avec les serviteurs sous contrat (indentured servants) ?

Michal Schwartz : Ils arrivent ici sans aucun droit de circulation ou de mouvement. Ils sont placés chez un patron qui les paye ou non. Et s’ils refusent ou s’échappent, ils sont mis en prison. C’est vraiment de l’esclavage. L’économie israélienne copie l’économie étatsunienne bien plus que dans n’importe quel autre pays, s’agissant du tout technologique ou de la fermeture des industries traditionnelles. Les victimes du système sont en premier lieu la population palestinienne, les Arabes de 1948 et les Juifs orientaux dont les moyens d’existence sont souvent misérables. En Israël, un enfant sur trois est pauvre, et un sur deux dans la population arabe. Ce qui signifie que la moitié des enfants arabes souffre de pauvreté.

— Si la solution de deux États est irréalisable, que penses-tu d’un État binational ? De plus, comment construire un mouvement ouvrier sans règlement politique de la colonisation ?

Michal Schwartz : La solution d’un État binational est impossible actuellement. Même si cela paraît abstrait, je crois que la solution du problème palestinien viendra de la lutte des travailleurs et de la création d’une véritable alternative au modèle étatsunien. On ne peut résoudre le problème palestinien dans le cadre de l’hégémonie étatsunienne sur le monde et de la situation actuelle en Israël. Le gouvernement israélien considère qu’il n’a pas de partenaire et se moque des Palestiniens en prenant unilatéralement des décisions. Par ailleurs, l’Autorité palestinienne est dans une grande confusion du fait de la lutte entre le Fatah et le Hamas pour le pouvoir. Adopter tel ou tel slogan — deux États ou un État binational — est absurde. Comment savoir ? La seule certitude est que l’occupation ne peut durer et que les Palestiniens obtiendront leurs droits. Mais de quelle manière ? Quel plan sera adopté ? La solution d’un groupe d’États ? La question de deux États est actuellement une chimère. Il faut continuer la lutte, mais autrement.

Si le projet reste dans les mains des partis en Israël ou dans les territoires palestiniens, ce restera lettre morte. Pour donner un exemple, Kadima — nouveau parti et fusion entre le Likoud de Sharon et le parti travailliste de Shimon Pérès, bien plus à droite que les travaillistes — déclare qu’il n’a pas de partenaire et prend la décision unilatérale de se retirer de Gaza, qui devient alors une vaste prison. Libérer Gaza est un leurre quand Israël contrôle l’électricité, l’eau et même les cartes d’identité, fabriquées à Tel-Aviv. C’est garder le contrôle de l’occupation différemment. Ce qui d’ailleurs est exclu en Cisjordanie puisque le programme ne prévoit pas de respecter la ligne verte : il est question de grandes zones annexées par les colonies à Israël, les Palestiniens n’ayant que de petits bantoustans ici et là. En Israël, le consensus existe sur ce projet. En l’absence d’alternative, la soi-disant gauche, liée aux partis arabes, soutient l’Autorité palestinienne en y voyant le moindre des maux.

Il n’existe pas d’opposition en Israël, sauf à l’extrême droite. Les partis représentent la classe moyenne, mais aucun les travailleurs ; ces derniers nous le disent : « on en a marre des déclarations, des partis dans lesquels nous ne croyons plus. Nous ne voulons plus voter. Vous êtes les seuls à tenter de faire quelque chose sur le terrain. » Les gens nous connaissent pour nos engagements et nos positions. La plupart des responsables du groupe sont arabes israéliens. Nous ne sommes pas un parti sioniste, nous n’avons pas soutenu la sortie unilatérale de Gaza ni l’idée de la non-existence de partenaires palestiniens. Aujourd’hui, le problème du chômage et de la pauvreté est tel qu’il est difficile de parler politique, même peu c’est encore excessif. En organisant la défense des individus, en parlant de droit au travail et d’une autre perspective, ils/elles entrent en politique, sont candidat-e-s à la Knesset. Ce n’est pas pour autant abandonner la résolution du problème palestinien, d’ailleurs ce problème nous rattrape partout, avec la situation, les attentats. Et ce n’est pas viable.

Tous les projets, tous les partis, toutes les forces politiques sont à présent dans un cul-de-sac, les uns prennent des décisions unilatérales et les autres attendent de Dieu la solution providentielle. Nous tentons de construire quelque chose d’humain, réaliste, venant de la base et loin des slogans grandiloquents habituels ou des solutions divines. Nous sommes sans doute les seul-e-s à ne pas avoir abandonné la question palestinienne, mais en l’abordant à partir d’un autre angle.

— En Israël et dans les territoires occupés ?

Michal Schwartz : Je ne peux parler pour les territoires occupés, la situation y est terrible. C’est l’impasse. Si le Hamas veut rester au pouvoir, il devra coopérer avec Israël et faire des compromissions. Il est plus simple d’être dans l’opposition que de gouverner. La situation est bloquée.

— Durant ce blocage, l’occupation et la colonisation continuent.

Michal Schwartz : Comme toujours, et surtout depuis 1993 et les accords de paix. La colonisation continue, mais s’y attaquer avec les mots d’ordre habituels n’aboutit à rien, ils ne correspondent plus à la réalité de terrain. Il faut construire un nouveau mouvement, de nouvelles perspectives pour attaquer la colonisation.

— La réalité du terrain dans les territoires occupés est, de fait, un nettoyage ethnique de basse intensité.

Michal Schwartz : Il a commencé depuis le début de l’occupation en 1967, à Jérusalem, à Hébron, mais lentement. Cela arrange Israël. Pendant la guerre au Liban, en 1982, il y a eu des théories disant que si Israël se débarrassait des réfugié-e-s, le problème serait réglé en Cisjordanie. Aujourd’hui, Israël ne peut pas envisager le déplacement de la population palestinienne, même en rêve. C’est impossible : le monde regarde. Chasser la population palestinienne de la Cisjordanie et judaïser le territoire ne marcherait pas. Israël est dans un cul-de-sac parce que l’option de la guerre, de l’occupation et de la colonisation a atteint ses limites, de même que l’option israélienne pour la paix. La guerre et la paix, comme le gouvernement israélien les voit actuellement, sont des voies fermées. Kadima [12] et ce consensus israélien font seulement gagner du temps. Israël est très fort, mais très faible d’un autre point de vue. Démographiquement, la population devient minoritaire. La population palestinienne est démographiquement plus nombreuse, mais pauvre et manque de perspectives politiques et d’espoir. De quelque côté que l’on regarde, de quelque manière que l’on entre dans le jeu politique, cela participe du blocage.

— Et la possibilité du transfert de la population palestinienne en
Jordanie ?

Michal Schwartz : C’était possible en 1948, mais impossible aujourd’hui. Israël doit défendre son image de démocratie. Sa réputation est en jeu. C’est pourquoi les accords d’Oslo ont été favorablement acceptés.

— Si un transfert de masse est impossible, les conditions de vie sont très difficiles et poussent les Palestinien-ne-s à quitter la Palestine.

Michal Schwartz : Mais partir où ? En Égypte ? En Jordanie ? La situation n’est pas meilleure dans ces pays, sinon parfois pire. Même dans les camps de réfugié-e-s en Cisjordanie, la situation n’est quelquefois pas plus mauvaise qu’en Égypte ou dans les pays alentour. Les Palestinien-ne-s n’ont nulle part où aller, alors ils restent ici. Et Israël peut tout tenter pour les faire partir, cela ne marchera pas. S’il y avait une clé à cette situation, Israël ne serait pas coincé. Sans réel changement, il n’y a pas de solution à cette situation.

— Le gouvernement des Etats-Unis a récemment déclaré avoir un plan pour redessiner la carte du Moyen-Orient ?

Michal Schwartz : Une des principales raisons de la crise politique israélienne, et palestinienne, est la politique étatsunienne menée dans cette région : un grand échec en Irak. Quand la guerre contre l’Irak a commencé, les idées les plus fantaisistes ont été publiées dans les journaux, comme : « Quand les États-uniens auront gagné en Irak, nous serons en paix avec ce pays. Tous les espoirs seront permis en redessinant la carte de Moyen-Orient. Il y aura un État chrétien au Liban, nous serons débarrassés du Hezbollah, etc. Bref ce sera un nouveau Moyen-Orient ». Le résultat est en fait un marasme de la politique étasunienne. Les Etats-Unis sont dans une impasse. C’est pourquoi je ne crois pas que nous puissions changer les choses seulement d’ici, il faut aussi que cela vienne de l’Europe, des Etats-Unis, d’un mouvement de base international. L’Europe a aussi ses problèmes avec les mouvements de droite et l’immigration.

Le problème est international, bien qu’au Moyen-Orient tout paraisse plus crucial et dans un perpétuel état d’urgence. Si les gouvernements étaient différents dans les autres pays occidentaux, si le mouvement ouvrier était puissant, le règlement de la question palestinienne serait probable. Paradoxalement, avant les accords d’Oslo, la paix semblait régner dans le monde, hormis pour le seul point de tension du Moyen-Orient avec le problème palestinien. Ensuite, avec la globalisation et toutes ces guerres en Irak, en ex-Yougoslavie, le monde entier est devenu un problème. Le problème est en fait global.