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René Fugler
L’anarchisme pour tous
Article mis en ligne le 15 janvier 2010
dernière modification le 17 janvier 2010

Irène Pereira, Anarchistes, la ville brûle, 144 p., 13 €.

Il est rare qu’un éditeur extérieur à la mouvance s’adresse à un auteur libertaire pour une présentation de l’anarchisme. C’est pourtant ce que viennent de faire les nouvelles éditions La ville brûle qui publient Anarchistes d’Irène Pereira.

Comme le précise la quatrième de couverture, Irène est militante d’Alternative libertaire et de SUD Culture Solidaires. Elle participe au collectif de rédaction de la revue Réfractions, on peut lire aussi ses contributions sur le site Recherches sur l’anarchisme (raforum). Elle est docteur en sociologie et chargée de cours en sciences politiques.

L’ouvrage est attrayant par sa présentation, son format bien maniable, sa maquette soignée et bien contrastée. Le propos répond au projet : proposer à un vaste public un texte « accessible à tous à partir du lycée » (selon le site de l’éditeur) qui présente « de façon claire, chronologique et actualisée les principaux penseurs, courants et jalons historiques de l’anarchisme. Il restitue de manière éclairante les logiques différentes qui les animent, et en présente une nouvelle typologie ».

Communisme libertaire et anarcho-communisme

Cette typologie ne dévie pas fondamentalement des classifications habituelles, sinon par la distinction qu’introduit Irène entre le communisme libertaire, « courant classiste de l’anarchisme » qui met l’accent sur la critique l’exploitation économique, et l’anarcho-communisme, « le courant humaniste » qui insiste sur la participation de chacun aux affaires de la Cité. Elle rattache le syndicalisme révolutionnaire et l’anarcho-syndicalisme au premier courant, en admettant qu’il n’y pas de cloisons étanches, qu’il y a une transversalité des pratiques. Elle accorde moins de place à l’individualisme (« le primat de l’individuel sur le collectif ») en constatant qu’il n’existe plus comme courant constitué ; elle sous-estime cependant, dans les pages qu’elle consacre à l’éducation ou aux pratiques individualistes, les initiatives souvent originales et novatrices tentées dans ce domaine.

Les communistes libertaires, selon cette distinction, fondent leurs positions sur une analyse de la société divisée en classes sociales antagonistes et considèrent que le « sujet révolutionnaire », c’est-à-dire le groupe social qui fera la révolution, est le prolétariat. Les anarcho-communistes, par contre, pensent que la transformation de la société fait appel à l’humanité dans son ensemble. Ils mettent en avant des principes universels et attribuent une importance plus spécifique à la dimension politique de cette transformation. Si pour les premiers l’entreprise constitue l’épicentre de la révolution, les seconds s’appuient plus particulièrement sur la commune.

L’actualité des pratiques

« L’humanité dans son ensemble » est une formulation peu convaincante. Il vaudrait mieux parler d’hommes et de femmes issus des différentes couches sociales, et de la reconnaissance de toutes les dimensions de l’existence humaine. Dans ce sens, Irène Pereira relève à propos du communisme libertaire – pour chaque courant qu’elle présente elle aborde aussi les limites de ses positions théoriques et pratiques – l’irruption des nouveaux mouvements sociaux, de l’écologie politique, de l’antiracisme, du féminisme, qui ne sont pas issus du mouvement ouvrier et constituent un défi pour ce courant.

Pour chaque tendance aussi qu’elle définit, Irène présente brièvement les penseurs et les expériences historiques qui l’ont marquée. Ainsi Bakounine, la Commune de Paris, le syndicalisme, la makhnovtchina, le plateformisme, la CNT, la Liaison des étudiants anarchistes de Nanterre pour le communisme libertaire ; Kropotkine, Reclus, Faure et Bookchine pour l’anarcho-communisme. Mais là elle semble plus hésitante sur le partage des pratiques.

Un des avantages de son étude, c’est qu’elle ne se limite pas au passé et qu’elle dépasse les frontières, en particulier pour ce qui concerne les Etats-Unis. Quelques auteurs actuels sont brièvement présentés, soit dans un chapitre à part, soit à travers les différentes thématiques, selon la forme d’exposition éclatée et fragmentée qu’elle a choisie. On retrouve ainsi Chomsky, Zerzan, Hakim Bey, Onfray, Michéa, Colson et Colombo. Les organisations, pour la France au moins, sont mentionnées par ordre de consistance numérique. Juste après les CNT, la Fédération anarchiste est située par ses positions anti-électoralistes, anti-religieuses, et son effort de préservation de la culture anarchiste. Alternative libertaire est définie comme organisation communiste libertaire d’inspiration plateformiste cherchant à concilier anarchisme, marxisme et mouvements sociaux. Suivent, en quelques lignes, l’Organisation communiste libertaire, la Coordination des groupes anarchistes et No Pasaran. Leur part est faite aussi aux « autonomes », inorganisés et sympathisants.

Ce que retient en particulier cet exposé, c’est les interférences de l’anarchisme avec les luttes actuelles et le renouveau contestataire, dont il met en relief le sens de l’action directe et l’esprit pragmatique. Voilà donc, pour ceux qui ont envie de découvrir, une initiation argumentée et ouverte. Mais aussi, pour ceux qui en savent plus, une occasion de recadrages et d’interrogations.