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Magali A.
Correspondance du Caire 30/12/09
Article mis en ligne le 1er janvier 2010

Chers amis,

Voici un récit un peu long de la journée d’hier jusqu’à ce matin, mais cela est nécessaire vu l’événement.

Double coup de théâtre au Caire

Hier, une journée compliquée, qui se termine en queue de poisson… Nous avons dormi un peu plus ce matin pour nous remettre du coup dur d’hier. Nous avons aussi beaucoup tergiversé par petits groupes sur la pertinence ou non d’aller rejoindre nos camarades coincés devant l’ambassade, qui réclament notre soutien, ou le rassemblement égyptien. Sur ces deux lieux, des « coordinations internationales » se revendiquent, le « steering committee » de départ étant aujourd’hui défaillant. Les informations arrivent par tous les bouts, se multiplient, se contredisent… dans ce chaos, nous restons sur notre ligne de prudence de ne pas rentrer dans le jeu du bras de fer avec la sécurité égyptienne pour nous préserver de petites chances encore d’atteindre notre objectif : Gaza. Mais individuellement, nombre d’entre nous allons à ces deux manifestations.

Le rassemblement des Egyptiens a été initié par le syndicat des journalistes en protestation contre la venue de Benyamin Netanyahou en Egypte, contre le blocus et les crimes israéliens et en soutien appuyé à la « noble » Marche. Il a rassemblé diverses tendances de l’opposition égyptienne, des trotskystes aux Frères musulmans, jusqu’à un rabbin antisioniste. Les internationaux y ont été bien accueillis.

Pas besoin d’en dire beaucoup sur le siège de l’ambassade, entouré par un impressionnant cordon de flics, vous avez dû lire les nouvelles dans les médias qui le relaient massivement. Les camarades dorment dans des conditions sanitaires et alimentaires inacceptable, l’ambassade ne se contentant que d’un rôle humanitaire.

Le soir, tout le monde attend le premier rendez-vous collectif que nous organisons dans un restaurant. Nous comptons sur ce moment pour fédérer le groupe et aborder les discussions de fond sur la stratégie à adopter demain, car la Marche est censée commencer dans deux jours ! Mais le lieu de rendez-vous se révèle pas du tout approprié pour des discussions de grands groupes… la frustration s’ajoute à la frustration.

A table, une rumeur circule, qui se confirme dans la nuit : 2 bus de 100 internationaux ont reçu l’autorisation de l’Egypte de partir vers Gaza, apparemment grâce à l’intervention d’une VIP de Code Pink auprès de la Madame Mubarak. 100 internationaux : un seul siège est proposé à notre délégation, 15 minutes pour donner notre réponse. Quelles que soient les conditions de cet ultimatum, pour nous c’est oui ! Yazid est très vite désigné pour nous représenter mais nous attendons une confirmation. Nous contactons immédiatement l’ambassade française pour avoir cette confirmation, qui nous est en fait donnée à 1h du matin à la télévision égyptienne directement par le ministre des affaires étrangères. Brans le bas de combat ! A 2h du matin, Thomas, Yazid et Guillaume font du porte à porte pour annoncer la nouvelle à ceux qui dorment et collecter l’argent et le matériel destinés aux Gazaouis. Les yeux mi-clos, en pyjama, nous voici à 4h du matin sur la terrasse de l’hôtel à saisir ce grand moment d’espoir en préparant les sacs de Yazid : médicaments, fournitures scolaires, chocolat, peluches… « pour le PCHR, de la part de la France ». Thomas fait un discours. Samir nous fait part de l’opposition d’autres délégations à ce convoi, à cause des circonstances de cette négociation peu unitaire, c’est le moins qu’on puisse dire. Mais nous restons fidèles à l’appel au pragmatisme de notre partenaire gazaoui, le PCHR, à qui nous demandons directement l’avis. Nous règlerons nos comptes plus tard. Yazid part donc avec 5 gros bagages et le mandat de chacun d’entre nous pour les Palestiniens. Une douzaine d’entre nous l’accompagnons à 6h du matin.

Mais ce n’est pas fini, arrivés sur place, c’est l’affrontement. Des manifestants, majoritairement états-uniens, mais aussi quelques Français d’autres délégations, contestent l’affrètement de ce bus avec des banderoles, certaines très agressives, sur le thème « Gaza : tout le monde ou personne ! ». Yazid monte dans un des 2 bus qui est déjà plein. C’est dans le bus, alors que la contestation monte à l’extérieur, que se révèle la clé de cet événement. Une représentante de Code Pink monte dans le bus en nous disant qu’ils ont peut-être fait une erreur en acceptant le deal égyptien. Ensuite, un officiel égyptien prend la parole au haut-parleur pour « féliciter » ceux qui partent de faire partie des « heureux élus » en s’étant conformés aux règles de sécurité égyptiennes contrairement à ces « sauvages », en montrant les manifestants dehors. Le malaise s’installe vraiment, Yazid et d’autres commencent à vouloir partir, attendent d’autres informations. Le coup de théâtre définitif sera au moment où les autorités nous « informent » que de toute façon l’ensemble des Palestiniens ne veulent pas de nous et nous menacent si nous venons. La bonne blague ! Dénouement : l’officiel colle son portable au micro du bus, où un soi-disant représentant du Hamas avertit : « vous êtes en train de vous rabaisser en acceptant les propositions de ce gouvernement corrompu, vous n’êtes pas les bienvenus et ce serait dangereux pour vous ». Ben voyons… La cerise sur le gâteau, c’est l’annonce par Code Pink que ceux qui resteraient dans le bus ne pourraient pas parler au nom de Code Pink ni de la Marche. L’arnaque est flagrante.

Yazid et la grande majorité des gens descendent donc du car : on ne part plus ! Les flics cachés dans des cars de police arrivent alors en courant pour encercler l’ensemble des internationaux. La grande manipulation est terminée, l’Egypte a su nous balader tout en récupérant la Marche à son compte.

***

Ce matin mercredi 30, alors que le titre du « Progrès égyptien » est « Mubarak condamne le blocus de Gaza », un jeune homme nous interpelle, qui se flatte que son gouvernement envoie un bus pour Gaza : la volonté de récupération de l’initiative par le pouvoir et dans la rue est confirmée.
Nous faisons la première assemblée générale que nous ne pouvions pas organiser avant pour des raisons de discrétion.

Le débat récurrent revient aussi sur le tapis : il y a ceux qui défendent notre objectif de rendre visible le blocus de Gaza, auquel cas les actions de protestation aux Caire y ont contribué fortement via le coup médiatique. Et ceux qui défendent notre autre objectif qui était de se rendre physiquement à Gaza, non pas pour lever le blocus, mais pour apporter concrètement notre solidarité aux Gazaouis, auquel cas les actions de braquage contre les autorités égyptiennes n’ont pas aidé. Même si de toute façon l’Egypte, lâchement, politiquement ou stratégiquement soutenue par la France et les autres, n’avait pas l’intention au départ de laisser passer cette Marche, certains pensent qu’il y aurait eu moyen de négocier des conditions de passage...

Aux nouvelles : nos « éclaireurs » sont bloqués avant Al Arish, malgré des stratégies très fines pour contourner les checks-points, même sur les routes touristiques. On renonce donc pratiquement et stratégiquement à partir. Concentrons-nous maintenant sur l’objectif de la Marche de demain, au Caire : c’est là notre dernière chance de faire quelque chose ensemble toutes délégations confondues.

Mais voici que notre AG est interrompue par le patron de l’hôtel qui vient nous avertir qu’il devra prévenir la police si nous continuons ce rassemblement. En 15 minutes, les tables et les fauteuils sont remis en place et tout le monde se disperse dans les chambres par groupes où continuent les discussions.

La journée sera donc aux affaires pratiques pour préparer les actions de demain, dont nous n’avons encore ni le lieu ni les modalités, mais que nous souhaitons vraiment internationale, et surtout en lien le plus possible avec la société civile égyptienne !

Presque à Gaza : des nouvelles d’Al Arish

Deux Français de notre délégation sont désormais à Al Arish (dernière ville avant Rafah, à 43km de la frontière), l’une depuis plusieurs jours, l’autre qui a réussi à arriver aujourd’hui. Sur place, en tout une quarantaine d’internationaux (dont une grosse délégation d’Espagnols et des Turcs) ont établi une solide relation de travail avec les comités populaires locaux. Aujourd’hui, ils ont pu défiler dans la ville sous le regard approbateur de la population. Un habitant, avocat connu et respecté localement, s’est courageusement joint aux internationaux, qui l’ont protégé d’une tentative d’arrestation par la police égyptienne. Les internationaux ont reçu une proposition des autorités égyptiennes de monter dans les fameux bus venus du Caire (une dizaine de places disponibles). Ils ont refusé en maintenant une cohérence politique et une solidarité à toute épreuve.

Hier, nous envisagions de tous nous rendre à Al Arish en nous déplaçant en petits groupes. Aujourd’hui, les renseignements pris et les « éclaireurs » envoyés en avant nous imposent de renoncer à cette tentative.
Demain, la Gaza Freedom March aura lieu dans Gaza, à Al Arish, depuis Jérusalem et au Caire…