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Fabrice Nicolino
Copenhague : la fin du monde repoussée de 15 jours
Article mis en ligne le 15 janvier 2010
dernière modification le 3 janvier 2010

Oubliez tout ce que vous lisez sur Copenhague. Non que tout soit faux, non que
tout soit idiot. Mais la conférence sur le climat est définitivement saccagée
par une armada d’experts autoproclamés, qui usent de sigles inconnus enrobés
dans une langue insaisissable. Ils sont les maîtres de la discussion, et signent
la mort du débat et de toute démocratie à coup de REDD, CCNUCC, FIC, FCPF, SREP,
PSA, FEM, FA, PPCR. Ça fait tout de suite envie.

Une caste tient donc le manche d’une gigantesque partie de poker menteur. Ou de
pouilleux, ce jeu où il ne faut surtout pas se retrouver avec le valet de pique
à la fin. Tout le monde ment, et personne ne veut être le pouilleux de
Copenhague. Il faudra montrer qu’on est le meilleur, et en tout cas pas le pire.
D’un côté les mastodontes du Sud, Chine en tête, qui ne veulent pas qu’on les
oblige à diminuer leur croissance. Et d’un, ils n’ont que ça dans la tête. Et de
deux, si ça s’arrête, c’est l’explosion sociale, avec eux au milieu. De l’autre,
le Nord, pour lequel la frénésie de consommation matérielle n’est pas
négociable. Il n’y a, pour ses dirigeants, qu’une voie et une seule :
l’expansion, le ravage, la télévision plasma dans toutes les pièces. Entre les
deux, les pégreleux d’Afrique ou des îles menacées par la montée des mers, qui
vont tenter d’arracher des miettes.

Barthélémy Schwartz

Pour ce qui nous concerne, nous les Français, la chance est au rendez-vous. Car
nous avons Sarkozy, bien entendu. Dans son univers d’esbroufe et de sondages, il
suffit de trois caméras pour monter tout un cirque. Le Grand Barnum n’attend
plus que lui. Que va-t-il se passer ? Rien. Il va chanter la gloire du piteux
Grenelle de l’Environnement, vanter notre magnifique nucléaire, qui émet si peu
de gaz à effet de serre, et serrer la main des Indiens, et des Mexicains, et des
Indonésiens et des Malgaches et des Surinamais et des Fidjiens.

La loi sur l’énergie votée le 13 juillet 2005 oblige théoriquement à diviser par
quatre nos émissions de gaz avant 2050. Ce qu’on appelle une révolution, qui
passerait par une rupture dans nos modes de vie. Mais les connaisseurs du
dossier ricanent ouvertement, et certains l’écrivent. Jean Syrota, rapporteur de
la très officielle Commission Énergie, en 2008 : « Les résultats des scénarios
volontaristes traduisent l’extrême difficulté pratique de dépasser le facteur
2,1 à 2,4, sans changement profond des comportements et sans rupture
technologique prévisible à ce jour [1] ». Traduction : l’objectif de division
par 4 à l’horizon 2050 est une vue de l’esprit. Disons une pignolade. Et Syrota
le polytechnicien d’ajouter cette phrase faite pour les inventeurs de la prime à
la casse automobile : « Il est clair que les tendances actuelles en matières de
déplacements privés, de transport de matières premières pondéreuses ou de
produits manufacturés ne sauraient être durablement prolongées ».

Cela, Sarko le sait évidemment, mais comme il veut être réélu tranquillement en
2012, il lui faut à la fois ne rien faire et prétendre le contraire. Ne rien
faire qui indispose sa base sociale, pour qui - exemple entre 100 -, la bagnole
est sacrée. Et faire croire aux naïfs qui ont cru au Grenelle que Sarko est
écolo, ce qui ne pourrait qu’aider à ratisser des voix au premier tour des
présidentielles, décisif pour creuser l’écart.

Donc, rien de vrai. Le vrai, c’est que les émissions mondiales de gaz explosent.
Elles ont augmenté de 41 % entre 1990 et 2008, alors que le protocole de Kyoto
espérait une baisse de 5,2 % en 2012, c’est-à-dire demain. Ces chiffres vont
au-delà du scénario le plus pessimiste établi par le Giec, comme vient de le
constater, effaré, le climatologue Hervé Le Treut. Encore y a-t-il peut-être
pire. 26 climatologues de grande réputation parlent désormais d’une augmentation
moyenne de la température de 7° aux alentours de 2100 [2]. Un authentique
cataclysme, qui balaierait tout.

Fermez donc la télé, car vous n’y apprendrez rien. La clé de Copenhague est
ailleurs. Notre Nord à nous, Etats-Unis compris, a un besoin vital que le Sud
continue à produire des merdes à prix cassés. Des fringues, des jouets, des
ordinateurs. C’est ainsi et seulement ainsi qu’ils pourront continuer à acheter
nos turbines, nos avions, nos centrales nucléaires, nos parfums. Le Sud ne peut
donc que poursuivre la marche en avant vers l’abîme, et augmenter massivement
ses émissions de gaz. Et nous aussi, mais un peu moins, car nous cramons du
combustible fossile depuis déjà deux siècles.

Un exemple, pour la route. L’élevage mondial, essentiellement industriel, émet
selon la FAO (2006) plus de gaz à effet de serre - 18 % - que tous les
transports humains réunis, de la bagnole à l’avion, en passant par le train et
le bateau. Mais une nouvelle étude américaine sérieuse [3], reprenant les
comptes à zéro, estime que l’élevage représenterait 51% des émissions humaines.
Le meilleur moyen de lutter contre le dérèglement climatique, dans tous les cas,
serait de diviser l’hyperconsommation de viande par trois ou quatre. Mais aucun
responsable n’en parle, car ce serait s’attaquer enfin à un lobby industriel. Et
donc, silence.

Ce qui est en cause à Copenhague, c’est un principe d’organisation. Une histoire
enracinée, dominée par un imaginaire devenu fou. Le monde est devenu une
industrie. Elle commande tout. Navré de le dire brutalement, mais ce sera elle,
ou nous.