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MAFFESOLI, Michel. L’Instant éternel. Le retour du tragique dans les sociétés postmodernes
Article mis en ligne le 24 janvier 2006
dernière modification le 26 janvier 2006

Paris, Rééd. La Table Ronde, coll. La petite vermillon.

Préface
À la deuxième édition

L’on a souvent peur de ce qui est. Mais qu’on le veuille ou non, le destin est là, qui se rappelle à notre bon souvenir. Ce qui se dit ici est fort simple. Mais, comme toujours, la simplicité n’est pas toujours facile à accepter, tant il est vrai que l’on préfère, en général, la tranquilité des évidences, des concepts établis ou des poses intellectuelles.

Chaque époque aime bien s’assoupir, à l’écoute de ceux dont on sait d’avance l’opinion sur toute chose. La nôtre n’y échappe pas, qui se complaît dans ses pensées fades, où la virtuosité le dispute à la gaminerie plus ou moins innocente.

L’essai est le risque de la vrai pensée. Publié en 2000, lInstant éternel s’employait à trouver la bonne place théorique permettant d’y voir plus clair dans la réémergence du tragique.

Quelques mois plus tard, l’écroulement des Twin Towers, à New York, confirmait que le « commerce » mondial n’était plus à l’abri du risque ambiant. Celui-ci devenant une donnée d’importance, avec laquele il faut compter.

Comme d’habitude, les belles âmes y ont vu l’événement faisant que plus rien ne serait pareil. Peut-être ! Pour ma part, je préfère dire avènement, justement, du sentiment tragique de l’existence. Le risque aussi pointa son nez, en France, un certain jour d’avril 2002, où, déjouant les divers pronostics, il provoqua ce que certains appellèrent, encore des grands mots, un « séisme politique ». Certes ! À moins que ce ne soit un splendide pied de nez, à ceux qui croyaient que la vie (politique, sociale) était un long fleuve tranquille, bien canalisée par des berges sous contrôle ; en la matière, les tactiques, stratégies et autres analyses, issues des philosophies politiques, élaborées pour l’essentiel au XIXe siècle.

Il y eut bien d’autres secousses. Il y en aura encore. Traduisant la profonde mutation en cours, changement de peau sociale. Glissement de l’histoire, assurée d’elle-même vers un destin aux contours bien plus cahotiques. L’on est loin d’une sécularistaion à outrance, et de l’idéologie du « risque zéro » tendant à prévaloir !

Les incantations moralistes ne sont plus de mise. Pas plus que ce Niagara d’eau tiède, où les bons sentiments le disputent aux pensées convenues. Disons le plus net, l’intensité du présent tend à prévaloir. L’instant est bien l’horizon dans lequel se reconnaît la créativité quotidienne.

Certes, on peut le regretter. Il semble plus convenable de penser avec rigueur la nouvelle éthique que cela ne manque pas d’impulser. En son sens strict « ethos » comme lieu d’habitation, demeure que l’on partage avec d’autres. Ciment structurant. Amour de ce monde-ci. Désintérêt pour les arrières-mondes possibles. Un situationisme généralisé en quelque sorte.

C’est ce profond changement qui est en train de s’opérer. Il marque bien l’émergence de ce que, faute de mieux, l’on peut appeler postmodernité. Fatigue de l’idéal prométhéen. Saturation de l’arraisonement technocratique de la nature. Fin de la maîtrise du social dans les rêts du rationalisme.

Voilà ce qui se vit à bas bruti ou qui se’exprime de manière irruptive. Voilà ce que l’on ne veut pas voir ou ce que l’on ne veut pas dire. Voilà ce qu’il faut penser avec minutie. Comme c’est souvent le cas en la matière, nous sommes en retard d’une guerre. Et l’on dresse une ‘ligne Maginot » on ne peut plus désuète face à un hypothétique ennemi qui ne peut que s’en moquer. Les tribus postmodernes surfent sur internet. Leur monde est sans frontière. Les « zones d’autonomie temporaire » qu’elles élaborent rendent poreuse la trame d’un tissu social unifié.

Ainsi, parmi les poses conformes à un mode de pensée déphasé, il y a la stigmatisation de ce qui serait un « communautarisme » envahissant. Comme ces appels, articles et autres invectivent sonnent creux ! Incapables qu’ils sont, au nom d’une moderne vision quelque peu datée, de saisir l’immaîtrisable viridité d’un idéal communautaire en gestation. Idéal qui, justement, est une réponse au retour du tragique.

En effet, sans qu’ils en aient, forcément, conscience, les protagonistes de ce monde en gésine, ces nouveaux barbares en leur insolence naïve, savent bien que la tribu, et la solidarité qu’elle engendre, est un bon moyen de gérer une vie sociale faites de choses muables et proches de l’incertain.

Voilà ce qu’une pensée en prise sur l’existence, qui loin de la routine universitaire ou de l’affairement du bavardage médiatique sait reconnaître dans le paradoxe le nouveau paradigme de notre temps. Laissons là les certitudes compassées du bourgeoisimes finissant. La thématique du tragique est le vigoureux appel à penser le réenchantement du monde.

Michel Maffesoli,

Cervières, 20 août 2003.


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