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Sommets, contre-sommets, discussion
Article mis en ligne le 15 septembre 2009
dernière modification le 6 septembre 2009

Salut à tou-te-s,

Voilà un compte-rendu à diffuser librement, des discussions qui ont
eu lieu à l’université Paris 8 sur les contre-sommets.

À la suite des contre-sommets de Strasbourg et de Louvain, plusieurs
participant-e-s ont voulu se rencontrer pour discuter de cette
expérience et la mettre en perspective. Il ne s’agissait pas de savoir
si les contre-sommets avaient ou non été « réussis », mais de
contribuer à une éventuelle réussite a posteriori : une expérience
réussie passe aussi par ce qu’on est capable ou non d’en tirer
ensuite, pour avancer. Nous avons donc voulu essayer de mettre en
commun nos réflexions, pour constituer une petite mémoire collective,
et pour se donner quelques outils pour penser les contre-sommets, avec
en tête notamment la perspective du G8 en France en 2011. Nous nous
sommes donc réuni-e-s à l’université Paris 8 ­ Saint-Denis, d’abord de
façon informelle, puis au cours de trois séances de travail portant
sur l’autogestion, le sens des contre-sommets et la répression. Ce
texte a été ensuite élaboré collectivement ; nous espérons qu’il sera
de quelque utilité pour les personnes qui veulent penser les
contre-sommets d’un point de vue militant.

La première question qui s’est posée à nous est toute simple :
pourquoi, au fond, garder les contre-sommets ? Après tout, cela
définit notre combat négativement, tout en le centrant sur des
événements (sommets du G8, de l’OMC, de l’OTAN etc.) qui ne sont
peut-être pas si importants ; cela permet au pouvoir de nous
identifier et d’exercer sur nous sa répression ; cela permet aux
médias de ne pas s’intéresser au contenu politique de nos actions, au
profit de belles images de manifs ou de casse. Toutes ces raisons sont
justes, et il serait possible de se débarrasser de cette forme de
lutte, vieille de vingt ans, et qui a peut-être épuisé son potentiel
de transformation sociale.

Mais il ne faudrait pas s’imaginer que nous ne perdrions rien à
l’abandon de cette pratique : le contre-sommet permet en effet de
combiner la confrontation et la rencontre internationale. L’abandon de
la confrontation directe transformerait ces événements en forums
sociaux, qui ne concernent que des acteurs déjà engagés, alors que les
contre-sommets attirent beaucoup de personnes qui ne sont pas
engagé-e-s dans des appareils militants. Échanger cette confrontation
sur un lieu donné contre des confrontations décentralisées reviendrait
à abandonner l’idée de faire de ces moments de lutte des moments de
rencontre et d’échange larges. Garder la forme des contre-sommets
permet de capter une partie de la « magie » qu’utilisent les
puissant-e-s de ce monde pour la retourner contre eux : lorsqu’illes
se réunissent, même si cela n’est pas le moment-clé du système
capitaliste, illes se mettent en scène, illes représentent leur
puissance ; se rassembler contre eulles, c’est détourner une partie de
cette puissance pour la transformer en pouvoir d’attraction de
militant-e-s du monde entier.

Garder les contre-sommets, continuer à investir cette pratique,
n’empêche pas de penser des formes intermédiaires, bien au contraire :
ces événements gagneraient à être préparés par des actions plus
locales, décentralisées, mais coordonnées et explicitement liées au
contre-sommets. De façon symétrique, au moment des contre-sommets, on n’est pas forcé d’être obnubilé par le plus spectaculaire (entrer dans
la zone rouge, faire une grosse manifestation, tout casser, etc.) : on
peut utiliser ce moment pour travailler des thématiques plus précises
et pour lier nos actions à des luttes locales.

I : Quel(s) sens aux contre-sommets ?

Mais le fait que les contre-sommets aient un large pouvoir
d’attraction est un atout qui peut se retourner contre nous, dès lors
que nous ne sommes pas préparé-e-s à reconnaître la pluralité de
significations et d’objectifs qui se croisent au moment du
contre-sommet. On peut en gros distinguer quatre types de modalités
par lesquelles nous essayons d’intervenir dans l’espace public au
moment des contre-sommets :

 Certain-e-s veulent avant tout dénoncer l’institution qui se réunit
(G8, OTAN…) et porter devant le public l’illégitimité de cette
institution, sans pour autant essayer de l’empêcher directement. Il
s’agit pour eulles d’occuper l’espace médiatique et de faire naître
une attention citoyenne autour de l’événement. Souvent porté par la
gauche institutionnelle, cet objectif nécessite une utilisation des
médias dominants et une image « responsable », capable de convaincre
le plus grand nombre du bien-fondé de nos revendications, et
parallèlement de l’illégitimité de l’institution. D’où une allergie
marquée aux autres formes de contestation, notamment violentes, qui
captent l’attention des médias tout en empêchant ces organisations de
donner du crédit à leur discours politique.
 D’autres veulent, en utilisant l’effervescence du contre-sommet,
exprimer leur opposition radicale au système capitalisme et étatique.
Par le choix de la confrontation avec les forces de police et de la
destruction des outils matériels de l’exploitation et de l’oppression
(banques, stations essences, préfectures, etc.), illes tentent de
donner un aspect concret à la lutte pour la transformation de la
société. Du fait de leurs modes d’action, leur but politique est
souvent relégué au second plan dans les médias au profit d’images de « 
casse », et parfois peu audible par les militant-e-s qui ne partagent
pas ces pratiques.
 Entre les deux, un ensemble de personnes sont là pour empêcher
physiquement le sommet de se dérouler : il ne s’agit pas seulement
pour eux de le dénoncer, mais bien de le troubler suffisamment pour
que les décisions ne puissent pas être prises. Ceci implique une
focalisation sur des objectifs, comme l’entrée dans la zone rouge, qui
apparaissent aujourd’hui peu réalisables, en tout cas sous la forme
d’un mouvement social large et inclusif. Il n’en demeure pas moins que
l’objectif affiché demeure, et oriente l’action de ceulles qui s’y
retrouvent.
 Enfin d’autres personnes veulent utiliser le moment du contre-sommet
pour expérimenter d’autres manières de vivre ensemble. Il s’agit d’une
autre forme de propagande par le fait : montrer qu’un autre monde est
possible, ici et maintenant. Si cet objectif fait passer au second
plan la question du sommet, il permet de privilégier une attitude
non-confrontationnelle peut-être plus adaptée à la militarisation de
la sécurité des sommets internationaux.

Il n’est pas question pour nous d’accorder des bons et des mauvais
points, ni même d’encourager tout le monde à une hypothétique
réconciliation. Il nous semble néanmoins important que les un-e-s et
les autres acceptent de reconnaître cette pluralité, inhérente aux
contre-sommets, et apprennent à « faire avec » plutôt que « contre »
ou « sans ». Ne pas le faire, c’est déplacer les oppositions
pertinentes, en remplaçant la lutte contre un ennemi commun par des
petits affrontements entre adversaires politiques qui d’une façon ou
d’une autre sont dans le même camp. C’est nous affaiblir et permettre
aux gouvernements de nous diviser et de proposer de nous des
définitions qui ne sont pas les nôtres : « radicaux » ou « casseurs »
contre « modérés », « responsables », etc.

Cette prise en compte de notre diversité est d’autant plus importante
que l’un des effets latents les plus précieux des contre-sommets est
de créer des liens entre des personnes ayant des expériences
différentes, de faire naître de nouvelles solidarités, et de permettre
à chacun-e de s’ouvrir à d’autres conceptions de ce que peuvent être
les possibilités et les formes de la contestation. Si l’on veut que se
perpétue la possibilité lors de ces contre-sommets des transmissions
et des formations d’expériences, qu’on peut ensuite utiliser dans nos
contextes locaux de lutte, il faut accepter l’altérité (et faire
reconnaître parallèlement sa spécificité).

Mais pour que ça marche, et pour que chacun-e puisse se servir des
contre-sommets pour se transformer politiquement, il faut que les
participant-e-s aient un accès complet à l’information sur les
différents modes d’action et sur les choix des un-e-s et des autres.
Permettre à tou-te-s de faire un choix bien informé de ses activités
pendant le contre-sommet, de se former à différents modes d’action,
tout cela implique un gros travail de publicisation et d’explication
de ses actions par les groupes d’affinité, les organisations ou les
collectifs présents. Trop souvent, le spectre de l’infiltration
policière est un moyen commode de ne pas s’ouvrir aux autres, ce qui
fait qu’au final la majorité des participant-e-s ne se trouvent
réellement intégré-e-s dans aucune action significative, gâchant par
là notre puissance d’agir collective.

II. Autogestion.

Parmi toutes les significations politiques des contre-sommets,
l’autogestion a un rôle particulier : même si certain-e-s peuvent
considérer qu’il s’agit là de quelque chose d’annexe, le fait est
qu’une grande partie des participant-e-s utilisent des structures
(village, centre de convergence) pensées par leurs
organisateurs/trices comme des lieux autogérés. La liaison entre
contre-sommets et autogestion, surtout sur une échelle aussi grande
qu’un village, est relativement récente. C’est à l’occasion du VAAAG,
au moment du G8 de 2003, que la création d’un village autogéré a
commencé à être associée à la pratique des contre-sommets (pratique
qui date du milieu des années 1980), notamment sous l’impulsion de
membres du réseau No Pasaran. La raison en est que parmi les
initiateurs/trices du VAAAG, beaucoup avait en tête l’échec du
contre-sommet de l’UE à Bruxelles en 2001, tellement plein de flics
qu’il était impossible de faire quoique ce soit, et la réussite du
camp No Border de Strasbourg en 2002. Dès lors, faire de l’autogestion
un mode de lutte à part entière, c’était à la fois mettre en échec les
stratégies policières et tenter de prouver qu’une autre organisation
de la société était possible.

Cette conception de l’autogestion comme « propagande par le fait »
n’est néanmoins pas le seul sens qui est donné aux villages autogérés
 : pour beaucoup, il s’agit avant tout d’un moyen de lutte, d’un lieu
de rassemblement et de préparation des actions. Les deux manières de
voir les villages ne sont pas incompatibles, mais elles sont en
tension, car l’autogestion n’a rien d’évident. C’est une pratique qui
rajoute des contraintes, qui double la temporalité activiste d’un
autre rythme, celui de l’organisation collective des tâches
quotidiennes, là où des solutions autoritaires d’organisation
permettraient une « gestion » des personnes présentes plus efficaces.
En tant qu’acte politique de contestation et d’expérimentation, faire
un village autogéré est donc coûteux en temps, en énergie, en thunes,
et s’il n’est pas investi par les participant-e-s, il peut s’avérer
largement inutile. Car l’autogestion ne se résume pas au partage des
tâches nécessaires (construire les infrastructures, faire la bouffe,
nettoyer les parties communes, assurer la sécurité du village,
accueillir les arrivant-e-s, etc.) : il s’agit aussi de faire du
village un lieu politique, avec des ateliers de formation, des
projections de films, des rencontres, des débats. Autant de choses qui
n’ont de sens que si elles sont préparées par beaucoup de personnes
différentes, et utilisées par la plupart des villageois-es.

Ce qui amène à la question cruciale du nombre, et d’abord du rapport
entre organisateurs/trices et participant-e-s : on peut penser que
plus il y a d’organisateurs/trices par rapport aux participant-e-s,
plus l’organisation du village est collective et plus l’autogestion
est réelle. Le problème est que, village après village, on se rend
compte qu’il est très difficile de mobiliser des gens sur la
préparation, la plupart des intéressé-e-s se réveillant bien trop
tard. C’est pourquoi nous pensons que la question principale est la
capacité des organisateurs/trices à créer les structures nécessaires
pour que les participant-e-s qui le souhaitent puissent prendre part
aux activités collectives, même sans avoir participé à la préparation.
Car les participant-e-s ne forment pas un groupe unifié : on trouve
parmi eulles des gens-es de bonne volonté et informé-e-s qui, dès leur
arrivée au village, vont s’inscrire sur les tâches collectives, se
renseigner sur les moments et les lieux de décision collective etc.
D’autres sont aussi de bonne volonté, mais n’ont pas l’information
nécessaire pour s’investir autant qu’illes le voudraient, faute de
lisibilité de l’organisation du village. D’autres enfin viennent en
consommateurs/trices, généralement pour de bonnes raisons, comme la
volonté de participer exclusivement aux actions. Evidemment les
frontières sont floues, et chacun-e fait en fait partie de plusieurs
catégories, selon les moments. Mais il est important de prendre en
compte l’existence de ces catégories, et de permettre que le passage
entre elles reste fluide, par la diffusion d’information, une volonté
d’inclusion de la part des plus actifs/ves vers les autres, et surtout
la non-stigmatisation des comportements des un-e-s et des autres. Car
si l’idée est de maintenir une proportion entre organisateurs/trices,
participant-e-s et consommateurs/trices qui permette que les activités
soient réellement collectives, l’autogestion n’a de sens que si elle
compose avec les choix des personnes, en cherchant à ce que chacun-e
développe son autonomie, mais sans contrainte directe ni indirecte.

A l’inverse, la participation peut être trop importante pour les
structures qui ont été mises en place : si beaucoup de personnes
veulent s’investir dans les moments de décision collective, par
exemple, il faut mettre en place des dispositifs qui permettent de le
faire sans pour autant compromettre la qualité des discussions et des
choix. Plusieurs formes de coordination sont pour cela disponibles, du
fonctionnement en AG/commissions ouvertes à tou-te-s jusqu’au
fractionnement du village en petites unités (les quartiers, ou « 
barrios ») mandatant des villageois-es pour prendre les décisions, en
passant par la tenue de « spoke councils », AG ouvertes mais
fonctionnant par la création ad hoc de petits groupes de discussion.
Là encore, il ne s’agit pas de définir les bonnes formes de
coordination, mais de savoir ce que chaque forme permet ou empêche. De
façon générale, plus la discussion est formalisée (ordre du jour,
modérateurs/trices, limitation du temps de parole, liste
d’inscrit-e-s, limitation du nombre de personnes qui peuvent
assister/parler/voter) moins il y aura de spontanéité ; et dans un
contexte de lutte, notamment dans le temps très court d’un
contre-sommet, la spontanéité est une arme à double tranchant… Quelle
que soit la forme choisie, il est crucial que les décisions soient
connues de l’ensemble des participant-e-s, quel que soit leur niveau
d’investissement, car ce n’est qu’à cette condition que chacun-e
pourra choisir ses activités en connaissance de cause. Tout doit pour
cela être mis en œuvre : charte distribuée à tout-e-s, panneaux
d’affichages clairement organisés, média de village, point info
efficace etc. Trop souvent, dans le feu de l’action, on a tôt fait de
se relâcher sur cette question, ce qui rend la gestion collective très
hasardeuse.

Le fonctionnement par barrio, qui est utilisé le plus fréquemment
dans les contre-sommets, semble être un bon compromis entre la volonté
d’inclure tout le monde et la nécessité de ne pas être trop
nombreux/ses dans les discussions. Le problème est que ce
fonctionnement n’a de sens que si chacun-e sait que les barrios
existent, si ceux-ci sont bien délimités et s’ils ont une visibilité
politique réelle. Tout cela demande de la préparation en amont et un
gros travail d’information sur place : accueil de chaque participant-e
à l’entrée du village, accueil dans chaque barrio etc. De la même
façon, cette organisation n’a de sens que si le barrio a des activités
collectives : AG quotidienne, répartition des tâches, panneau
d’affichage, si possible cuisine collective. Une solution qui pourrait
être tentée serait de faire que chaque tâche concernant tout le
village soient prises en charge par un barrio déterminé, avec une
rotation quotidienne évidemment. Ce qui est important, c’est que le
barrio soit un réel lieu d’échange, d’information, de réalisation de
l’autogestion, et pas seulement un endroit où on vient poser sa tente
parce qu’il y a de la place, mais sans avoir dans les jours suivants
de contact avec ses « voisin-e-s ».

III. Répression.

Malheureusement, si les contre-sommets sont des moments forts
d’organisation, d’expérimentation et de lutte, ce sont aussi des
moments où les Etats déploient sans retenue leurs forces répressives,
faisant courir à tou-te-s les participant-e-s le risque d’être
violentées, arrêtées, poursuivies. Face à ce risque, il faut
reconnaître que nous sommes parfois démuni-e-s : le rapport de force
est trop en notre défaveur pour qu’on puisse espérer gagner quelque
chose dans une opposition frontale avec les flics, mais on ne peut
éviter que des oppositions aient lieu si l’on veut réaliser des
actions, même les plus pacifiques. Plus grave : c’est aussi
politiquement et psychologiquement que nous manquons d’armes, au sens
où nous subissons de plein fouet la peur que fait naître
l’omniprésence policière, et où nous avons souvent du mal à comprendre
ce qui est en train de se jouer, c’est-à-dire ce qu’essaie de faire le
pouvoir, le type de stratégies à adopter, etc.

Pour les Etats, la répression est un excellent outil pour maîtriser
la contestation, car il est très économique : la seule activité
répressive engendre en effet un ensemble de conséquences qui nous
paralysent durablement, alors même que nous devrions profiter du temps
court du contre-sommet pour être plus actifs/ves que jamais. Car la
répression ne s’arrête pas à la seule confrontation avec les forces
répressives : il suffit que les flics violentent et enferment un petit
nombre de militant-e-s pour qu’un certain nombre d’effets aient lieu.
D’abord, quelques arrestations permettent au pouvoir de prouver qu’il
bien a affaire à des délinquant-e-s, et justifient l’utilisation
massive de la répression contre l’expression de la contestation.
Ensuite, elles lui permettent de focaliser l’attention médiatique sur
les questions de violence et de répression, plutôt que sur le contenu
politique de la contestation, empêchant par là nos idées de pénétrer
dans l’espace public. Du côté militant, un autre effet est de
provoquer chez nous la peur et la colère, nous empêchant de réfléchir
sereinement à nos possibilités. Enfin, ces violences et ces
arrestations nous conduisent à focaliser notre action sur
l’antirépression, c’est-à-dire le soutien et la libération des
prisonnier-e-s, ainsi que sur la « protection » des militant-e-s et du
village, au détriment des autres activités.

Or tout cela doit être pensé politiquement : réagir comme nous l’avons
fait à Strasbourg, comme nous le faisons généralement face aux
violences policières, c’est-à-dire par la peur, la paralysie et
l’anti-répression irréfléchie, c’est rentrer dans le rôle que l’Etat
veut nous faire jouer, celui de victimes et de coupables à la fois.
Penser politiquement la répression, c’est se demander ce que fait
l’Etat quand il réprime, ce qu’il attend comme effet sur le public et
sur nous, pour ensuite réfléchir à des moyens de mettre en échec ses
plans.

La première chose à faire pour politiser notre rapport à la
répression, c’est de comprendre ce que l’Etat fait. Or ce qu’on a pu
constater lors du contre-sommet de Strasbourg, c’est que l’Etat
français a commencé à employer des techniques de maintien de l’ordre
qui suivent une logique nouvelle. Il ne s’agit plus désormais
d’exercer la répression sur les militant-e-s se livrant à des actions
que le pouvoir juge illégales ou dangereuses, mais d’empêcher toute
action d’avoir lieu. Pour cela, il a été procédé à un maillage complet
et systématique du territoire à contrôler, notamment avec de petites
unités mobiles type BAC, le but étant non pas de réprimer des actions
précises, mais d’éviter le moindre rassemblement. Cette technique « 
contre-insurrectionnelle » demande un déploiement de force obscène,
qui n’est pas tenable sur le long terme sans faire appel à la
complicité d’une partie de la population, mais qui s’avère très
efficace sur le temps court du contre-sommet. Cette inflexion dans la
pratique répressive est de bien mauvais augure, car les contre-sommets
sont aujourd’hui des terrains d’expérimentation de nouvelles
techniques de maintien de l’ordre, avec l’utilisation de nouvelles
unités et de nouvelles armes. La réussite de cette technique de « 
prévention répressive » visant à empêcher tout rassemblement, sans
distinction de « dangerosité », ne va certainement pas rester sans
suite, et on peut craindre que la dissolution des rassemblements, avec
arrestation des participant-e-s, ne devienne peu à peu la norme. Ce
qui est important ici, c’est de reconnaître que ces nouvelles
techniques de répression reposent sur l’arrestation arbitraire : il
n’y a pas besoin d’avoir participé à des actions que le pouvoir juge
illégales pour être contrôlé-e, violenté-e, arrêté-e. Dès lors,
essayer à tout prix d’éviter les arrestations est un objectif
largement incompatible avec la réalisation d’actions politiques
significatives durant contre-sommets.

Au-delà des techniques de maintien de l’ordre/contrôle des foules
proprement dites, les dirigeant-e-s de l’appareil d’Etat savent bien
profiter politiquement de la répression : la focalisation sur la
violence lui permet de diviser le mouvement, remplaçant la
contestation par des embrouilles stériles entre « violent-e-s » et « 
non-violent-e-s », tout en permettant aux médias de faire de belles
images de casse, d’affrontement entre la police et les
manifestant-e-s, et surtout de ne pas parler des choses importantes
pour l’extension de la contestation (nos idées, nos modes d’action,
etc.). Plus profondément, la répression permet à l’Etat d’imposer son
rythme, là où justement le contre-sommet est censé instaurer une autre
temporalité, dans laquelle nous reprenons collectivement l’initiative.
Imposer son rythme, pour l’Etat, ça veut dire provoquer par la
répression un ensemble d’effets qui rendent nos comportements
extrêmement prévisibles. Ces effets sont d’abord psychologiques : la
répression lui permet de nous maintenir dans un état de tension
épuisant, et qui nous empêche de profiter du moment du contre-sommet
pour débattre, échanger des pratiques, faire des rencontres, etc.
L’impression dominante qu’on a retiré de Strasbourg, c’est cette
tension, un village rempli de personnes habillées tout en noir, voire
masquées, une propagation de rumeurs sans fondement (« la police va
attaquer le village » étant la plus répandue comme la plus
fantasmagorique), un hélico en permanence, des pseudo-barricades
élevées sans raison valable, etc. On avait le sentiment d’être des
criminel-le-s face à une machine répressive, de faire des choses
illégales et dangereuses, alors que le village avait été négocié avec
la préfecture et que nous étions en train d’exercer collectivement un
droit fondamental. Toute cette tension, provoquée par le pouvoir mais
entretenue par nous-mêmes, à travers les paranos, les rumeurs, les
comportements virilistes, aboutit à une focalisation sur les flics,
entre peur et fascination, plutôt que sur les significations
politiques de nos actions.

Tout ceci trouve son couronnement dans un dernier effet,
particulièrement pernicieux, de la répression : l’anti-répression
irréfléchie. Il est clair qu’avoir des camarades violenté-e-s et
arrêté-e-s est inacceptable ; mais utiliser toute notre puissance
d’agir à essayer de les libérer est un piège dangereux.
L’anti-répression irréfléchie, qui consiste à orienter tous nos
efforts sur la libération des personnes arrêtées, aboutit à un cercle
vicieux : on propage la peur d’autres arrestations, on se concentre
sur la lutte contre la police, qui risque d’amener de nouvelles
arrestations, bref on fait du cycle répression/solidarité/répression
une fin en soi. Plus grave, la répétition de ce cycle aboutit au
développement de dangereux mythes dans le mouvement : la répression
serait le signe de notre « radicalité », elle prouverait que les
actions réprimées sont les seules réellement dignes d’intérêt
politique, donc les seules efficaces. Or cette idée repose sur une
vision mécanique et dépolitisée de la répression, selon laquelle
l’Etat réagit de façon automatique à ce qui est le plus dangereux pour
lui. C’est simplement faux : l’Etat n’est pas une entité rationnelle
et toute-puissante, le pouvoir est animé par des objectifs complexes,
il entretient de nombreux fantasmes et mauvaises évaluations sur ce
qui est dangereux et sur ce qui ne l’est pas et surtout il tape
désormais largement au hasard. Dès lors, imaginer que c’est la même
chose de lutter contre le système capitaliste et étatique, et de
lutter contre son appareil répressif, c’est se tromper de cible, et
perdre beaucoup d’énergie. Or c’est bien ce à quoi aboutit
l’anti-répression mécanique, à une concentration sur ces forces qui
nous violentent et nous enferment, plutôt que sur les buts politiques
de notre présence et de nos actions.

A ce problème nous n’avons pas de solution : mais il apparaît certain
que mettre en suspens nos débats, notre animation des structures
autogérées comme le village ou nos actions prévues, sous prétexte
qu’une partie des militant-e-s a été arrêtées et placé-e-s en garde à
vue, c’est se soumettre au rythme de l’Etat et rendre notre
mobilisation inefficace. Il nous apparaît incomparablement plus adapté
de remplacer cette anti-répression par une solidarité de long terme, à
travers des réseaux de soutien aux militant-e-s poursuivi-e-s (et pas
seulement arrêté-e-s), et de profiter du temps court du contre-sommet
pour faire ce pour quoi nous sommes là : non pas lutter contre les
policier-e-s, mais réaliser des objectifs politiques et transformer la
société.

Conclure ?

Nous ne déserterons pas les contre-sommets : cela reste à notre avis
des moments importants et rares, des occasions uniques de rencontrer
des militant-e-s de tous horizons et d’opposer au système capitaliste
et étatique un refus global. Mais cette forme est à repenser
constamment, à revivifier, en prenant en considération les
modifications dans les attentes de chacun-e et dans l’attitude de
l’appareil d’Etat. La voie de l’autogestion nous semble devoir être
gardée, mais approfondie et repensée dans toutes ses exigences, au
risque de la voir se transformer en vain mot. Mais pour que tout cela
soit possible, il est indispensable que les militant-e-s, notamment
les militant-e-s organisé-e-s, prennent leurs responsabilités : la
démarche d’un contre-sommet ne peut commencer pour la plupart des
participant-e-s le jour de leur arrivée sur place, et s’achever à leur
départ. Car ces luttes ne sont pas des buts en soi : elles n’ont de
sens que si elles s’ancrent dans le temps long, à la fois pour chaque
participant-e et pour le mouvement anticapitaliste dans son ensemble.
Il faut donc s’organiser dès maintenant, faire réseau, se former,
réfléchir aux formes que nous voulons donner au contre-sommet de 2011
en France, et aux actions intermédiaires nous permettant de le
préparer. Un réseau, Dissent ! (www.dissent.fr) a été créé dans ce but
suite au contre-sommet de 2007 ; il ne tient qu’à chacun-e d’entre
nous de le rejoindre, ou de créer d’autres espaces, dans les
entreprises, les quartiers, les facs, pour penser collectivement la
suite du mouvement.