(2) Change / Schimb valutar de Nicolae Margineanu (Roumanie)
Le cinéma à travers le prisme de la censure.
Article mis en ligne le 16 avril 2009
dernière modification le 13 mars 2009

Christiane Passevant : J’aimerais aborder une question plus large sur le cinéma roumain. Existe-t-il des aides pour le cinéma en Roumanie ?

Nicolae Margineanu : Sans l’aide du centre cinématographique qui organise deux compétitions par an, le cinéma roumain n’existerait pas. Il y a également l’aide de la télévision nationale sous forme de coproduction. C’est actuellement un moment favorable pour le cinéma roumain car il émerge une génération de jeunes cinéastes avec des idées neuves et originales. Ils n’ont pas connu la censure du régime socialiste qui, néanmoins, nous a formés durant toutes ces années.

CP : Pensez-vous que la censure vous a amené à développer un autre langage cinématographique, allégorique, pour y échapper ?

Nicolae Margineanu : Tous les cinéastes de l’histoire du cinéma l’ont fait. Par exemple, pendant cette période, j’ai choisi de tourner des adaptations de romans historiques. Sous le régime socialiste, il fallait mentir si l’on voulait faire des films sur la réalité sociale. C’était très difficile. La seule réalité acceptée devait coïncider avec une image excellente du socialisme. Toutefois, dans les films historiques, il était possible de glisser des allusions. Et chacun d’entre nous a utilisé ce subterfuge pour parler indirectement de la réalité sociale.
Je me souviens d’un metteur en scène de théâtre qui, à l’époque, était venu des Etats-Unis et avait assisté à une représentation théâtrale. Il ne comprenait pas pourquoi le public riait aux éclats. Il n’a pas compris le message, au second degré, de la pièce, qui était évident pour le public. À cette époque, le public aimait le théâtre et le cinéma pour cela.

CP : Vous dîtes que le jeune cinéma est frais, inventif et s’exprime sans entrave. Ces nouvelles expressions cinématographiques sont-elles soutenues ? La distribution des films suit-elle le mouvement au niveau national et international ?

Nicolae Margineanu : Non. Le problème se situe déjà au niveau de la fréquentation médiocre des salles. Les chiffres des entrées sont très moyens. Une majorité de la population doit avoir un deuxième travail pour survivre, ce qui est une raison de la fréquentation très moyenne des salles de cinéma. D’autre part, il existe plusieurs chaînes de télévision et les gens attendent pour voir le film, qu’il soit diffusé par une des chaînes. Concernant la distribution internationale, seulement quelques films roumains ont la chance d’être distribués à l’étranger, mais pour la plupart d’entre eux, ce n’est pas encore le cas.

CP : Votre film, Change/Exchange, a-t-il été projeté en Roumanie ? Ou ailleurs, en dehors de Montpellier ?

Nicolae Margineanu : Il a été montré en Roumanie le 17 octobre 2008, et c’est la première fois, à Montpellier [1], qu’il est vu à l’étranger.

CP : Quel a été l’accueil du public roumain ?

Nicolae Margineanu : L’accueil a été bon, mais la salle n’était pas pleine.

CP : Une question sur le casting, puisque vous êtes venu présenter le film au festival de Montpellier en compagnie du personnage principal, Emil, joué par Cosmin Selesi. Comment l’avez-vous choisi pour jouer Emil, personnage à la fois candide, dans la première partie du film, presque utopiste, et très conforme au système dans la seconde partie du film, jusqu’à devenir un salaud. Cette évolution, très fine durant le film, passe-t-elle par une manière différente de bouger, par son visage ? Comment l’avez-vous transcrit à l’écran ?

Nicolae Margineanu : Je connais Cosmin Selesi du théâtre et c’était son premier grand rôle au cinéma. Son visage m’a convaincu, j’ai senti qu’il pouvait exprimer le basculement insensible du personnage. Et surtout cette innocence, dans la première partie, qui est peut-être la plus difficile à jouer. La scène finale est plus simple de mon point de vue. J’avais réellement confiance en son talent de comédien. Je l’ai vu jouer au théâtre, il est excellent et peut tout jouer, tout interpréter. La première fois que je l’ai vu, je n’ai pas pensé qu’il était comédien. C’est pour cela que j’ai choisi Cosmin Selesi, pour son naturel.

Quant à la comédienne, Aliona Munteanu qui interprète Lili, elle venait de terminer des études dans le théâtre de marionnettes. Elle est originaire de Moldavie et a un accent très différent. C’est pour cette raison qu’elle a passé le casting. Alors que je faisais passer un test à une comédienne, elle parlait très fort, avec exubérance, dans le couloir. En ouvrant la porte pour voir qui faisait du scandale, j’ai vu le personnage de Lili. Je n’ai pas eu la moindre hésitation pour le choix de mes personnages.

CP : Dans votre film, les seconds rôles — le beau-père, l’épouse, le fils, l’escroc, les changeurs — sont excellents, ils existent à l’écran. Ce sont des professionnels ?

Nicolae Margineanu : Ce sont tous des professionnels, sauf le petit garçon que j’ai choisi dans une équipe de football. Il a très bien joué et s’est prêté à toutes nos demandes.

CP : Les deux personnes qui partent rejoindre de la famille au Canada sont aussi comédien-ne ?

Nicolae Margineanu : Oui, les deux sont très connus, mais quelque peu oubliés à cause de leur âge.

Larry Portis : Une question par rapport à la naïveté du personnage. Je me demande si le peuple roumain s’adapte vraiment au capitalisme, et si cette adaptation équivaut à la perte de la naïveté et des illusions passées. Naïveté remplacée par l’instauration d’un certain cynisme ?

Nicolae Margineanu : Je pense que le peuple roumain a une capacité d’adaptation, mais pas tous et pas avec les mêmes moyens. Certains de mes amis vivant à l’étranger constatent les changements dans le pays, d’une année sur l’autre. C’est impressionnant en Roumanie. Les hommes politiques ne se soucient guère de la population et sont uniquement dirigés par les intérêts économiques. Il n’y a ni autorité ni justice en Roumanie. La population n’attend rien de l’État et ne croit plus dans son autorité, elle se débrouille seule. L’économie se porte bien parce que les gens travaillent énormément. De bas en haut, ça va… J’espère.

Cet entretien a eu lieu le 30 octobre 2008, durant le 30e festival du cinéma méditerranéen de Montpellier. Présentation, transcription et notes Christiane Passevant.