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Bernard Dreano
Quelques questions sur la solidarité avec les Palestiniens et la lutte pour la paix hier et demain.
Après la manifestation du 3 janvier 2009
Article mis en ligne le 29 janvier 2009
dernière modification le 22 janvier 2009

6 janvier 2009

La manifestation parisienne du 3janvier était très importante, l’une des plus importantes jamais vues en solidarité avec la résistance du peuple palestinien. Les effectifs des manifestations dans les autres villes semblent avoir aussi, en général, été supérieurs à la moyenne.

A Paris, autant que j’ai peu en juger, le nombre de manifestants issus des composantes partidaires et associatives traditionnelles de la gauche et des organisations de l’immigration était inférieur -où à peine égal- (en nombre absolu) à ce que l’on comptait dans les plus grosses manifestations lors de la dernière guerre du Liban. Le succès des manifestations - sans aucun doute en tout cas dans certaines villes dont Paris - est dû à la mobilisation des « Arabes de France » (J’utilise cette expression un peu réductrice par rapport à une réalité complexe). Cette mobilisation avait des caractéristiques relativement inédites par rapport aux manifestations antérieures, en tout avec cette ampleur. Elle était intergénérationnelle, avec pas mal d’anciens, beaucoup de 30-50 ans (ceux que ma génération politique avait baptisé il y a un quart de siècle la « deuxième génération ») et pas mal de jeunes ou très jeunes. Certains manifestants étaient en famille.

La manifestation reposait largement sur une nouvelle génération militante (et aussi en partie une nouvelle génération politique). Les militants du groupe Génération Palestine, constitué autour de Palestiniens vivant en France, et des Campagnes Civiles (CCIPPP) et dans une certaine mesure du MIB (Mouvement de l’immigration et des banlieue), assuraient la tête de manifestation, la grande majorité des organisations du Collectif unitaire (pour une paix juste et durable) leur reconnaissant cette responsabilité et/ou ne pouvant ou souhaitant pas l’exercer (par exemple pour le service d’ordre de tête).

La mobilisation s’est faite pour une large part à travers des canaux de proximité, souvent de quartier, souvent de mosquées. Ce caractère spontanée et local de la mobilisation explique aussi qu’il ne soit pas facile de mesurer les différentes tendances au sein du mouvement en comparant des cortèges qui étaient souvent peu structurés, se mélangeaient, etc. Il était intéressant de noter la facilité de diffusion de certains slogans dans diverses parties de la manif, notamment des slogans en Arabe en particulier les références religieuses : les Allah ouakbar , Lailaha illa Allah, ou traditionnelles : les Bil-rooh, bil-dam (Avec notre sang, avec notre âme – début de slogan partagés par tous les courants politiques arabes depuis des décennies, le plus souvent dans sa version, nous nous sacrifierons pour toi, Gaza ).

Beaucoup de manifestants affirmaient donc leur identité musulmane et/ou arabe (ceux qui portaient sur les épaules les drapeaux de Tunisie, Algérie, Maroc étaient toujours des jeunes), dans des cortèges plus ou moins animés par des organisations plus où moins musulmanes mais aussi dans des groupes non religieux, comme le cortège très militant du Mouvement des Indigènes de la République (MIR). Dans l’important cortège structuré notamment par le Collectif des musulmans de France (CMF) et Participation et spiritualité musulmane (PSM) il n’y avait pas de mots d’ordre religieux diffusé par la sono et une animation permanente autour de slogans politiquement justes. D’autres pôles de la manif s’affirmaient musulmans, avec beaucoup de slogans à référents religieux (autour de certaines des organisations cosignataires d’un appel des organisations musulmanes de France du 2 janvier). D’autres organisations enfin (non signataires de cet appel) s’exprimaient sur un mode islamiste radical, très hostile à l’autorité palestinienne (A bas les collabos !), notamment un cortège ou l’on trouvait des gens du Parti des Musulmans de France et qui était celui qui et c’est Ginette Skandrani qui y lançait les slogans en Français et dans lequel le petit noyau organisé des Verts s’est trouvé mêlé au départ de la manif !

Sur ce que cela signifie du point de vue du mouvement de solidarité avec la Palestine en France et plus généralement la société française

En France, depuis quarante ans, le mouvement de solidarité avec la Palestine et pour la paix au Proche Orient a un impact social et politique bien supérieur à celui d’autres mouvements de solidarité, vu la composition de la population française et l’histoire de notre pays.

Il a toujours existé, grosso modo, avec trois composantes :
 une composante partidaire dans lequel on retrouve l’extrême gauche, le PCF, les Verts, les libertaires (très modérément), quelques gaullistes, une poignée de sociaux-démocrates ;
 une composante associative dans lequel on retrouve les principales ONG (Chrétiennes notamment), certains syndicats (CGT, Solidaire et parfois encore CFDT) auquel ont peu ajouter certaines municipalité de gauche, y compris parfois PS ;
 une base sociale, constituée principalement « d’Arabe de France » (notamment les jeunes), et secondairement de militants de gauche (plutôt âgés aujourd’hui).

Ce mouvement a été profondément ébranlé par trois facteurs :

 L’affaiblissement politique global de la gauche solidaire, partidaire et associative

Cette solidarité de gauche subit l’érosion des capacités militantes de la gauche en général. C’est celle du Collectif pour une paix juste et durable et la Plateforme des ONG pour la Palestine et ses soutiens, et en son sein l’Association France Palestine Solidarité a joué un rôle central (l’AFPS est historiquement constituée par le regroupement des mouvements de solidarité issus de l’extrême gauche et du PCF).

Ce mouvement a aussi été affaibli par une offensive politique et idéologique des « supporters de la paix » qui cautionnaient le point de vue israélien (PS, SOS Racisme, UEJF, Proche Orient Info, intellectuels néo conservateurs, Charlie Hebdo, etc.). La ligne pro-israélienne impulsée par Sarkozy pour modifier le cours de la diplomatie française (restée longtemps en Occident la plus attachée - relativement- au processus de paix), est à la fois une conséquence de cette offensive, et un facteur de son amplification.

 L’échec du mouvement national palestinien incarné par l’OLP.

L’OLP et ses principales composantes Fatah et Gauche Palestinienne, a d’abord fixé comme objectif historique la « Palestine laïque et démocratique où juifs et arabes vivraient en paix » (en rupture avec l’objectif précédent des nationalistes arabes, « les juifs à la mer »), ce qui, dans les années 70, pour nombre de ses militants comme pour nombre de ses soutiens extérieurs, paraissaient envisageable au pris d’un bouleversement révolutionnaire au moins régional.

Les défaites militaires de l’OLP en Jordanie et au Liban, le recentrage de la lutte sur l’intérieur avec la première intifada (le plus grand mouvement libération nationale non militarisé du XX siècle après le Gandhisme et Solidarnosc), l’esquisse d’un vrai mouvement pour la paix (anti-colonisation) en Israël après les massacres de Sabra et Chatila, la nécessité d’obtenir des résultats améliorant la situation concrète des Palestiniens… tout cela a conduit l’OLP à chercher avec Israël le compromis sur la base des Deux Etats. Dans son ensemble le mouvement de solidarité à épousé cet objectif, notamment en France, et aux Comités Palestine « révolutionnaires » des années 70 ont succédé les multiples initiatives des années 90, locales notamment, de soutien concret, jumelages, etc. Mais le sabotage Israélo-américain du processus de paix n’a aboutit qu’à de nouveaux reculs pour les Palestiniens et de nouvelles guerre. L’Autorité Palestinienne, donc la direction historique de l’OLP, a sa part de responsabilité dans cet échec. Il explique, sur fond de montée générale de l’islamisme dans le monde, le développement du Hamas, mouvement des Frères Musulmans palestiniens, et ses victoires électorales dans des scrutins libres et honnêtes.

 La perte des objectifs politiques du mouvement de solidarité et la coupure avec sa principale base sociale.

Le mouvement de solidarité avec la Palestine en France a connu deux moments de développement maximum, pendant la phase « révolutionnaire » du début des années 70, quantitativement plus important dans les années 90, pendant la phase d’espérance en un processus de paix allant vers son terme, en tout cas qu’il fallait défendre. D’autant plus que la « paix espérée » des années 90 paraissait aussi idéologiquement pertinente dans le contexte de lutte antiraciste, de recherche d’unité sociale et de dialogue interculturel et interreligieux, en France même.

Or à l’échec du processus Deux Etats israélo-palestinien là-bas, c’est ajouté l’échec de la lutte anti-discrimination ici. De plus les composantes partidaires et associatives du mouvement de solidarité ont été profondément déstabilisées par la montée mondiale de l’Islam, la radicalisation islamiste en son sein (et dans le contexte français l’effet de la guerre civile en Algérie), la « croisade antiterroriste » (qui commence avant le 11 septembre), la perception d’une crise identitaire française et d’un modèle républicain inefficace dans les quartiers populaires, la montée de l’islamophobie et la crispation laïcarde, etc. Les principales composantes du mouvement de solidarité ont continué cependant à poursuivre l’action en faveur des Deux Etats, alors qu’entre Oslo et Annapolis ce processus est bien mort, et que cet échec a décrédibilisé le partenaire politique palestinien du mouvement de solidarité, l’Autorité Palestinienne.

Cette situation a contribué à casser la relation entre organisations partiaires et associatives de la solidarité et la base sociale principale du mouvement (d’autant plus que les partis et associations en questions n’avaient que fort peu d’Arabes de France parmi leurs militants). Avec quelques exceptions, la Campagne civile (CCIPPP), Génération Palestine, certains groupes locaux, etc.

Elle a contribué à la coupure entre d’une part un mouvement pour la paix orphelin et affaibli, et d’autre part une nébuleuses radicale marquée par Europalestine et la CAPJIPO, et de plus en plus par des éléments « radicaux » islamistes ou non, avec de fréquentes dérives antisémites.

Et maintenant que faire ?

La date de l’offensive israélienne contre Gaza correspond évidemment à un calendrier électoral israélien, mais aussi américain, le gouvernement israélien voulant profiter de la phase terminale de l’administration Bush avant l’arrivée d’Obama. Même si Israël ne subit pas à Gaza, compte tenu de la réalité du terrain, la même déconfiture militaire qu’au Sud Liban, il est douteux qu’il parvienne a ses fins militairement et très improbable qu’il détruise le Hamas politiquement ; D’ailleurs l’éradication physique du Hamas supposerait un tel niveau de violence qu’on pourrait s’attendre alors à ce qu’au Hamas succède un mouvement de type Al Qaida. L’administration Obama va sans doute essayer de réactiver le processus Deux Etats, mais on ne voit pas comment celui-ci pourrait ressusciter avec une colonisation plus étendue que jamais, après un bain de sang à Gaza et une fois Mahmoud Abbas totalement discrédité. Il faudrait que les Etats-Unis engagent un bras de fer diplomatique et matériel avec Israël, provoquant l’évacuation des colonies, la levée du siège de Gaza, etc. ce qui ne semble pas à l’ordre du jour.

Il n’y a donc plus de solution Deux Etats crédible à échéance prévisible. La solution « Un Etat » n’est pas envisageable à échelle humaine (Un « Israëlstine » laïque et démocratique). Mais avec une Autorité palestinienne discréditée et délégitimée il est plus que jamais justifié de demander des comptes à la puissance occupante de facto de toute la Palestine : le seul Etat opérant sur le terrain c’est celui d’Israël. Enfin bien sur l’éradication d’Israël, options des plus radicaux des radicaux islamistes, est absolument inacceptable (et par ailleurs hors de leur portée). Par contre l’éradication politique de la Palestine est par contre à l’ordre du jour de l’agenda réel, et la purification ethnique, si on lit les programmes de certains partis israéliens de gouvernement et si on regarde la politique menée à Jérusalem-est ou dans les villages à l’ouest du Mur)

Il résulte de ce qui précède que le mouvement de solidarité n’as plus, pour un temps indéterminé, de solution politique crédible positive à défendre.

Le mouvement de solidarité doit, pour reprendre l’expression de la CIPPP, se reconstruire pour la « protection du peuple palestinien », la survie politique de la nation Palestinienne, la lutte contre les processus de purification ethnique et de confiscation de terre, le respect des droits individuels et collectifs de tous les Palestiniens, le soutien aux mouvements israéliens anti-occupation et pour une paix juste. Ce sont là les conditions pour qu’à une échéance aujourd’hui inconnue, un vrai processus de paix puisse s’enclencher, car sur la disparition de facto de la Palestine il n’y a pas d’horizon pacifique possible pour le siècle qui vient.

Une solidarité défensive mais active, même si elle n’a pas de débouché positif à court terme. Cela exige un mouvement de solidarité renouvelé et actif, ce qui est possible comme le démontre la mobilisation du 3 janvier 2008. Mais ce mouvement est en danger si se développe une fracture en son sein et la getthoisation de sa principale base sociale.

Il existe dans les composantes de gauche associative ou partidaire du mouvement de solidarité une tentation de créer pour se « distinguer des courants islamistes ou plus généralement religieux », et même d’inscrire ce clivage par un « cordon sanitaire dans les manifestations ». Si il est absolument nécessaire d’être politiquement clair quant aux buts et aux moyens du mouvement de solidarité, et de combattre sans concessions les antisémites ou crypto antisémites, il est tout à fait dangereux de creuser le fossé (dans le mouvement de solidarité comme dans le mouvement social en général) entre une gauche « blanche » et une base « musulmane » ou « indigène », une fracture au sein de la société française.

Les mouvements progressistes laïcs issus de l’immigration, Association des Travailleurs Maghrébins en France (ATMF), Fédération des Tunisiens citoyens des deux rives (FTCR), Association des citoyens originaires de Turquie, etc. comme les mouvements civiques musulmans français (CMF, PSM…) combattent les replis communautaristes (type Tablighis) ou radicaux (type PMF) dans des quartiers populaires que la « gauche (hélas trop) blanche » ignore, puisqu’elle n’est presque plus présente sur ce terrain. Ce combat se mène au sein de communautés locales de quartiers, peu politisées et souvent soumises aux influences contradictoires des forces progressistes (fussent-elles musulmanes) d’une part et de forces extrémistes ou obscurantistes (pas toujours musulmanes d’ailleurs) d’autre part. Isoler ces « radicaux » et renforcer le mouvement de solidarité ne passe sûrement pas par une coupure idéologique rejetant « tous les musulmans qui font de la politique » ou tous les « Arabes qui pensent que le Hamas résiste à Israël » au delà d’un cordon sanitaire séparant les bons pacifiste « laïcs » des méchants et violents « communautaristes » ! Cela reviendrait à donner un formidable espace de développement aux courants extrémistes que l’on prétend combattre, à liquider dans les faits le mouvement de solidarité, et à préparer des lendemains qui déchantent dans la société française..

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