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Vives flammes algériennes
Article mis en ligne le 29 janvier 2009
dernière modification le 4 décembre 2008

Depuis l’été 2008, l’État algérien n’en peut plus de débloquer de nouveaux fonds pour sa police : achat de 20.000 matraques, plus de 200 bus de transports de troupes, plusieurs engins antibarricades ou équipés de lances à eau – et embauche de 15.000 nouveaux flics au plus vite. Nouvelle menace terroriste ? Non, tous ces équipements sont destinés à la section anti-émeutes de la Direction générale de la sûreté nationale. [1] Par ailleurs, le gouvernement, craignant « un risque d’émeute généralisée », subventionne à hauteur de plusieurs dizaines de milliards de dhirams par an « les produits de large consommation, pour réduire les effets de l’inflation sur la vie quotidienne des Algériens ». Autre détail croustillant de l’actualité récente (en tout cas plus qu’une réforme de la Constitution) : « les milieux d’affaires algériens et étrangers se préparent également à de telles éventualités. Plusieurs entreprises auraient déjà mis en place des plans pour protéger leurs biens des pillages en cas de violences populaires. » [2]

Bigre, que se passe-t-il en Algérie ? Du peu d’informations (évidemment) qui arrivent de ce côté-ci de la Méditerranée, on entend parfois que depuis plus d’un an, seraient enregistrées en moyenne deux-trois émeutes ou autres formes de colères populaires (notamment des blocages de routes)… par jour – seule la Chine fait aussi bien en ce moment !

Parmi celles que les médias n’ont pas pu taire, parce qu’elles ont concerné des centaines de personnes, parce qu’elles ont duré au moins deux jours, et que les dégâts ont été « spectaculaires » : Timimoun (sud) en février, Ghardaïa en mars, Chlef, Gdyel (vers Oran) et Tiaret en avril, Ksar El Boukhari (90 km au sud d’Alger), Berriane et Oran en mai, Berriane à nouveau en juillet, Annaba et M’sila en août, plusieurs villages autour de Tizi-Ouzou et Tissemsilt en septembre, encore Annaba en octobre, Meftah en novembre… du littoral nord densément peuplé aux régions du sud quasi-désertiques, de l’est à l’ouest, ce sont tant des grandes villes (à l’exception notable, cette dernière année, de Alger – ville trop fliquée ?) que d’innombrables bleds qui connaissent les joies de la révolte.
La relégation en deuxième division du club de foot d’Oran [3] ; la gestion d’incendies détruisant des champs entiers d’oliviers et d’arbres fruitiers en Kabylie ; une demande collective d’attribution de locaux pour pouvoir travailler (Gdyel) ; sept corps de harragas repêchés au large de Tiaret ; la décision de fermeture du marché informel suivie de la victoire de l’équipe locale de foot à Ksar el-Boukhari ; la vengeance contre un riche propriétaire d’hôtel et ses vigiles à Sidi Aïssa (M’Sila) ; la coupure d’eau ou l’augmentation du prix de la patate de trop ; etc. : peu importent les « détonateurs », pourvu que tout soit prétexte à une saine émulation de rages collectives. Et les communs de ces belles émotions nous parlent particulièrement : à chaque fois ce sont les édifices du pouvoir, local ou national, qui sont attaqués, sièges des wilayas (préfectures), daïras (sous-préfectures) ou des Assemblées populaires communales, tribunaux et bâtiments d’entreprises nationalisées (banques, poste, hydrocarbures…) – mais aussi chaque bureau d’entreprise privée est potentiellement une cible de choix, et les magasins voient régulièrement leurs vitrines tomber et les marchandises s’envoler (pillages massifs à Annaba le 13 octobre). Nous n’aurons que ce que nous prendrons. Également, la pratique massive et quasi-systématique du barrage routier confirme que le blocage des flux reste une valeur sûre contre le train-train de la société.
Côté flics, comme toujours chargés de protéger le vieux monde, ils sont souvent débordés (c’est-à-dire moins rapides), en tout cas de nombreux renforts sont toujours nécessaires pour le-retour-à-la-normale. Si l’épreuve existait pour le CIO, l’équipe d’Algérie serait certainement championne du monde de caillassage. La paix sociale est définitivement assénée quelques jours ou quelques semaines après « les terribles scènes de violence » par les coups de marteau résonnant sur les bureaux des juges : depuis un an, ce sont plusieurs centaines d’émeutiers qui ont été engeôlés. Mais la solidarité renforce, normal, les accès de rage et la libération des détenus stimule admirablement familles, proches, voisins : manifestations, occupations de tribunaux, assemblées sur les places publiques…

Revenons, par exemple, sur les « événements » de Chlef (ville de 180.000 habitants située à 200 km à l’ouest d’Alger) – non pas pour en faire une émeute « meilleure » qu’une autre (y aurait-il de mauvaises émeutes ?), hein.
Le 27 avril 2008, devait comparaître au tribunal le président de l’association des sinistrés d’un séïsme de… 1980 (Chlef est dans une région fortement sismique), suite à une plainte du wali (le préfet) pour diffamation : l’association avait protesté contre l’annulation d’une aide, pourtant décidée dans une loi de 2007, portant sur la reconstruction de logements « en dur » en remplacement de 27.000 préfabriqués – que les gendarmes ont commencé à détruire avant même le début des travaux. Dès l’aube, les accès au tribunal sont bloqués par des flics, il n’en fallait pas plus aux centaines de personnes venues assister au procès pour faire exploser de beaux accès de rage – qui n’en aurait pas fait autant ?
D’abord aux alentours du tribunal, rapidement dans tout le centre ville, ensuite (jusque vers 22h) dans la plupart des quartiers. Caillassage vigoureux des façades vitrées des sièges d’Algérie Poste (dont la recette se volatilise), d’Algérie Télécom, de l’APC (Assemblée populaire communale), du musée de la ville, de la banque du Golfe Arabe, de la gare, les détruisant de fond en comble. La Direction des mines et de l’industrie, un bureau de poste et la bibliothèque municipale sont totalement incendiés. Le siège de la faculté de droit saccagé. Les bureaux de la Banque extérieure d’Algérie dévastés – et pillés, naturellement. Sans parler des voitures, des lampadaires et autres éléments de mobilier urbain. Les attaques des bâtiments de la wilaya et de la daïra ont été repoussées par les forces anti-émeutes arrivées assez rapidement en renforts de plusieurs autres wilayas, notamment d’Alger. On parle le soir de plusieurs dizaines de blessés (dans les deux camps) et d’une centaine d’arrestations.
Le lendemain, ça repart de plus belle après le premier café, pierres contre lacrymo : rassemblés dans différents coins de la rue principale de la ville, des dizaines de jeunes se sont attaqués pendant plusieurs heures aux policiers qui tentaient de les empêcher de s’approcher des institutions publiques. « Nous n’arrêterons pas avant le départ du wali », déclarent des jeunes surchauffés. Les affrontements ont continué dans la plupart des quartiers de la ville, ainsi que dans des villes et villages voisins, dont Chettia à une dizaine de kilomètres : les établissements scolaires, l’agence des PTT et la direction des impôts y ont reçu une visite mémorable des émeutiers. La route nationale a été bloquée toute la journée par des barricades enflammées. Bilan de la journée : encore des arrestations - entre une centaine et 500 selon les sources.
Le 29 avril, alors qu’à Chlef les forces de l’ordre reprennent le contrôle l’espace, troisième jour d’affrontements à Chettia : nouveaux blocages de routes toute la journée, et surtout le centre ville transformé en champ de bataille, il n’est plus question que d’en découdre avec les keufs, aux cris de « libération de tous les détenus », « satisfaction de la plateforme de revendications élaborée par l’association des sinistrés de 1980 » et « départ du wali » (qui d’ailleurs a été muté début mai). Le soir, assaillis par des centaines d’émeutiers, ce sont les bureaux de la délégation régionale de Sonelgaz qui partent en fumée. Les attaques de bâtiments (plus tard, un laboratoire pharmaceutique a été pillé) et les escarmouches ne s’arrêteront qu’à l’aube.
Depuis, 87 émeutiers, dont une dizaine arrêtés plusieurs jours après les émeutes, croupissent en taule en attente d’un procès déjà reporté à deux reprises. Et les familles et autres proches des détenus de maintenir la pression sur les autorités : occupations de bureaux, sit-ins, etc.

Journalistes, sociologues et autres gens du pouvoir évoquent régulièrement des causes qui légitimeraient ce qui est désigné comme une véritable « culture de l’émeute » – comme si l’émeute n’était pas fondamentalement ennemie de la culture. Entre autres raisons avancées par les prétendus experts de nos vies : l’urbanisation poussive et radicale du pays (30% en 1960, 80% aujourd’hui), suite à la réforme agraire des seventies – et puis, bien entendu, le célébrissime « chômage des jeunes » (estimé à 60% chez ces fameux moins-de-trente-ans, qui représentent plus de 60% des quelques 35 millions d’algériens). Pourtant, il en faut peu pour se rendre compte que certes, jeunesse et fougue restent souvent synonymes, mais le nombre de barricades de pneus enflammés à la moindre défaillance de l’approvisionnement en électricité ou la tournure que prend telle ou telle grève nous confirme que c’est bien l’ensemble d’une population qui d’une part n’en peut plus (évidemment, plus personne n’en peut, de ce monde), d’autre part le fait bruyamment entendre à qui prétend nous gouverner. Hé oui, tant de haine ne s’explique jamais vraiment, et en tout cas n’est jamais récupérable (d’ailleurs, il est rarissime qu’un film ou un bouquin s’attarde sur ces « faits divers », ce qui est révélateur du consensus qui maintient sur la guerre sociale la chape de plomb de la victoire de 1962 contre l’Etat français colonisateur et de la menace du terrorisme islamiste). Par contre, le besoin de vengeance contre chaque expression de hogra est un stimulant profond, et tellement rassembleur, contre toute forme de pouvoir.

Côté grèves et autres « mouvements sociaux », la période y est pareillement rythmée de clameurs apparemment de plus en plus fortes : pour ne parler que de « larges mobilisations » récentes, depuis le printemps 2008 les profs en statut précaire, régulièrement rejoints par l’ensemble des enseignants et des lycéens, alternent grèves, grèves de la faim, manifs, rassemblements dont sit-ins devant leur ministère, le tout violemment réprimé : matraques, arrestations de prétendus leaders, et une fin systématique de non-recevoir – le tout sous la menace d’une privatisation partielle et sournoise de l’éducation. Début novembre, une grève illimitée des 50.000 étudiants de Sétif pour réclamer des « moyens » (dans le contexte d’une réforme LMD en cours) et trois jours de grève nationale dans la fonction publique viennent rajouter une couche au grognement ambiant. Toujours en novembre, les syndicats autonomes de dockers débrayent plusieurs jours pour dénoncer la concession des ports d’Alger et de Djendjen à une multinationale émirienne. Mais aussi, tout au long de l’année, se sont agités les personnels de santé, les vétérinaires, des salariés des hydrocarbures, des travailleurs du BTP (souvent en butte avec leurs patrons chinois, qui les mettent en concurrence avec des ouvriers chinois) – bref, un peu de fraîcheur aussi du côté des luttes de salariés, malgré un encadrement syndical assez strict (en transition, toujours, dans le cadre d’une relative rupture avec le modèle du syndicat unique – l’UGTA) : mais la cogestion n’est pas encore au point, il reste quelques brèches dans lesquelles développer des espaces autonomes de luttes.
orsque l’on parle de révolte, cette vive colère diffuse à l’échelle d’un territoire aussi vaste, il n’est pas déterminant, mais pas non plus anecdotique, d’évoquer la situation et l’évolution socio-économique d’un tel pays : les grondements des foules énervées nous parlent aussi des sales manières dont le capital maîtrise, plus ou moins bien, sa reproduction, auxquelles elles résistent activement. Ce pays, désigné comme un modèle de croissance économique (+5% chaque année en moyenne depuis 2002), vit aussi à l’heure de la mise en place, à marche forcée, de l’Union pour la Méditerranée (malgré les réticences de Bouteflika liées à la présence d’Israël dans cette belle « union » en concurrence directe avec le projet états-unien de Grand Moyen Orient, sans parler de l’amitié « historique » sino-algérienne : les échanges bilatéraux ont fait circuler quatre milliards de dollars en 2007). En Espagne, dans les années 1980, il était courant d’entendre, pendant les grandes grèves émeutières des ouvriers des secteurs industriels « en restructuration » (notamment dans les Asturies ou au Pays basque sud : chantiers navals, dockers, …) : « ce n’est pas l’Espagne qui rentre dans la CEE, mais l’Europe qui rentre en Espagne ». Difficile de ne pas voir dans l’excitation des gouvernants et des patrons européens pour cette nouvelle alliance transméditerranéenne cette même perspective, de pouvoir encore mieux s’engouffrer dans de nouveaux espaces – d’autant plus dans un pays aussi riche que l’Algérie, quatrième producteur mondial de gaz et quatorzième de pétrole. Et dont, même en cette période de chute libre du prix du baril de pétrole (automne 2008), les énormes réserves de liquidités semblent mettre pour le moment hors d’une quelconque déroute financière.
Alors, le flux international en Algérie, ça donne : un TGV transmaghrébin pour Alstom, un métro à Alger (Alstom encore) qui sera géré par la RATP, plusieurs complexes pétrochimiques ou sidérurgiques avec des partenaires saoudiens, japonais, allemands, une des plus grandes usines du coréen Samsung à Sétif, un viaduc à Constantine réalisé par un groupe brésilien, la restructuration des infrastructures portuaires et ferroviaires, de nouveaux gazoducs, centrales électriques et autres équipements pétroliers, la plus grande unité au monde de dessalement d’eau à Mostagadem, treize nouveaux barrages, un programme de construction d’un million de logements raflé surtout par des entreprises chinoises de BTP et, pour 5 milliard de dollars, la création à Alger par un groupe émirien du « plus grand parc urbain au monde », le parc Dounya, avec ses-espaces-verts-ses-quartiers-résidentiels-ses-bureaux-ses-commerces-ses-centres-de-loisirs-et-de-détente, etc.etc.etc.
Pour sûr, s’implanter à coups de méga-chantiers dans un tel pays signifie pour les entreprises de trouver non seulement d’évidents débouchés économiques, mais aussi une main d’œuvre abondante et supposée docile (la célèbre « armée de réserve », c’est plus de 20% de chômeurs en Algérie). Mais, on l’a vu, c’est quand même mal barré pour les patrons, même si la police veille, s’équipe et se prépare… Et on pense aux belles émeutes de 2004 des plus pauvres des travailleurs, les Rroms, en Slovaquie devenue un des nouveaux centres industriels européens, ou, aujourd’hui, en Roumanie, où les grèves n’en finissent plus, que même l’importation d’ouvriers encore moins chers (Philippins, Bangladais, etc.) ne suffit pas à contrecarrer, dans des secteurs aussi structurants que l’automobile, le textile, la logistique… [4]Et oui, la délocalisation a souvent fait se trouver les managers face à des salariés autrement plus combattifs qu’en Occident, où les syndicats jouent parfaitement leur rôle de maintien de l’ordre des travailleurs. Les faubourgs du monde restent souvent ingouvernables.

Et déjà, en quelques années, l’Algérie est devenue un pays d’immigration car, bien sûr, un sans-papier d’origine subsaharienne coûte encore moins cher qu’un chômeur algérien. En 2007, les services de la Sûreté nationale ont arrêté 12.000 personnes entrées illégalement sur le territoire algérien, dont 7.000 Maliens et 3.000 Nigériens. En 2008, environ 5.000 migrants auraient été expulsés vers des pays du sud. D’ailleurs, en juin 2008, une loi a été votée, durcissant les « conditions d’entrée, de circulation et de séjour des étrangers », prévoyant entre autres le triplement du budget destiné à « la lutte contre l’immigration clandestine », notamment pour la construction… de centres de rétention. Les mesures de dissuasion de l’émigration, quant à elles, se renforcent également, sous la pression de l’Union européenne – et c’est maintenant de plusieurs mois de prison que peuvent être condamnés les harragas (voire… leurs parents), ces « brûleurs de papiers » qui tentent la grande traversée vers le nord, embarquant à bord de pateras de Annaba, Mostaganem… [5] Car, on ne le répète jamais assez, des secteurs entiers de l’économie (BTP, agriculture, restauration…) fonctionnent sur l’organisation en cascade de ces « délocalisations sur place » que permet l’emploi de travailleurs sans-papiers. Bien sûr la répression (à haute visée médiatique) s’abat à plein régime sur les pauvres (il s’agit de maintenir coûte que coûte une paix sociale qui seule garantit le bon fonctionnement de l’économie), mais la belle propagation des mutineries et des incendies de centres de rétention nous fait chaud au cœur… [6]
L’histoire remarquable des protestations populaires algériennes (depuis le Printemps berbère de 1980, la quasi-insurrection généralisée d’octobre 1988, balayée dans le sang – on parle de plus de 500 morts –, le soulèvement en Kabylie au printemps 2001, pour ne parler que des pics d’intensité de cette longue permanence de la révolte, qui s’est aussi aiguisée à Oran en 1982, Annaba en 1983, Laghouat en 1983 et 85, Alger (la Casbah) en 1985, Sétif et Constantine en 1986, Alger et diverses villes en 91, en 2004 dans une trentaine de villes, etc. [7]) ne fait évidemment pas tout : c’est plutôt l’actualité des contestations dans les États voisins qui nous permet d’imaginer comme l’air du temps est particulièrement orageux.
Au Maroc : depuis le printemps dernier, blocage du port de Sidi Ifni par des chômeurs, manifs, émeutes, envoi de l’armée : plusieurs tués et 300 arrestations (suivies de tortures) le 7 juin 2008 – après quelques semaines d’accalmie durant l’été, reprise des affrontements en septembre-octobre [8] ; manifestations quasi-quotidiennes des étudiants dans les grandes villes, qui ont vite appris le goût des matraques mais qui ont aussi vite appris à se défendre, comme à Marrakech le 14 mai où pierres et cocktails molotov ont plu sur les 1.000 hommes des forces spéciales dépêchés pour empêcher une marche vers la présidence de l’université (bilan de la journée : 800 étudiants raflés, une centaine gardée à vue, sept emprisonnés en attente d’un procès) ; un sit-in contre « la cherté de la vie » (il faut dire que le prix du pain avait augmenté de 30% la veille) qui se transforme en émeute à Sefrou le 23 septembre 2007 : 300 blessés dont pas mal chez les keufs, la plupart des bâtiments publics saccagés ; et même en Tunisie, dix mois de ce qu’on appelle une « insurrection » dans le bassin minier de Gafsa (phosphate), durcissement de la grève des mineurs mais aussi des étudiants, chômeurs, « mères de famille » contre « le modèle économique tunisien » et violente répression (des syndicalistes sont même inculpés pour « constitution de bandes de malfaiteurs ») ; en Égypte diffusion à l’ensemble des secteurs économiques des luttes des travailleurs du textile (première activité industrielle du pays, après le tourisme), depuis deux ans maintenant : grèves sauvages, occupations, manifs, émeutes, et là aussi, répression de plus en plus massive, avec le concours actif des Frères musulmans patrons de nombreuses usines (plusieurs morts, des milliers d’arrestations) ; pour ne pas parler ici de la multiplication depuis un an des émeutes dites « de la faim », « de l’électricité » ou « du gaz » au Sénégal, Cameroun, Burkina, etc. [9]Bref, au sud de la Méditerranée, et même si les espaces-temps de la révolte sont particulièrement disjoints, les classes laborieuses composent de fait une réjouissante internationale de classes dangereuses, d’autant plus qu’elle semble particulièrement tenace et alerte contre les assauts policiers et judiciaires.

C’est dans ces moments d’intenses émotions collectives, que les travailleurs (avec ou sans emploi) s’extirpent d’un quotidien particulièrement apathique, que les gueux reprennent le temps de vivre à toute allure. Et le choix déterminé de l’affrontement est en soi une critique en actes de ce monde qui voudrait régir l’entièreté de nos vies – il est particulièrement revigorant de voir que la rue peut encore être cet espace politique si vif, et pas seulement ce lieu de circulation si policé où l’on voudrait nous enfermer. Puissent les flammes de l’Algérie et autres banlieues malfamées du monde réchauffer nos longs hivers….