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Pierre Sommermeyer
Massacre en Bolivie
Article mis en ligne le 29 septembre 2008
dernière modification le 11 novembre 2023

Jeudi 11 septembre 2008, un millier de paysans marchent vers Cojiba pour protester contre la violence dont ils sont victimes de la part du gouverneur de la province. Des coups de feu éclatent alors que la manifestation arrive sur un pont à 7 kilomètres de la ville. Huit personnes sont tuées par des snipers cachés dans des arbres au dessus du pont. Les tireurs semblent, de l’avis des observateurs, avoir été armés par le gouverneur de la province qui a mis sur pied une milice de « protection des citoyens ». Les derniers chiffres publiés indiquent que le nombre de morts dépasserait en fait la trentaine, d’autres sources vont jusqu’à 70.

Ce gouverneur a été arrêté par l’armée bolivienne le 16 septembre.
Cet homme est un élu, en effet la Bolivie est un Etat quasi fédéral. Des gouverneurs soumis à élections dirigent les neufs départements du pays. Le parti au pouvoir n’a obtenu que trois des neufs sièges mais la majorité du Parlement lui est acquise.
En Bolivie la majorité des habitants sont indiens tout comme le Président de ce pays, Evo Morales. Ce pays est composé de 55% d’indiens, Quechua ou Aymara, de 30 % de métis et de 15% d’européens blancs. La plus grande partie des matières premières dont le gaz naturel se trouve dans les provinces de l’Est qui réclament plus d’autonomie comme celle où a eu lieu ce massacre. Il se trouve que la majorité de la population non indienne y habite. Il s’agit au fond de se battre pour garder sur place l’argent produit ainsi. Le séparatisme est aussi le cache-sexe du racisme. Il n’est pas question pour ces grands propriétaires, cette classe supérieure parce que blanche, de se laisser dicter sa loi par des indiens misérables qui n’ont aucune idée de ce qu’est la civilisation…


Le sommet de l’UNASUR

Le nouveau pouvoir après avoir nationalisé le pétrole et le gaz naturel vient d’expulser l’ambassadeur des Etats-Unis le suspectant d’encourager ces tentatives sécessionnistes, ce début de guerre civile. Pourtant si cette nationalisation a suscité une certaine colère ce n’est pas aux USA. L’ancien propriétaire, Pétrobras, est le géant public brésilien des hydrocarbures. Le ministre brésilien de l’Energie a considéré cet acte comme « un geste inamical ». Il faut dire que le leader brésilien Lula s’était engagé à fond pour soutenir Morales dans son élection. Le pas consistant à voir derrière ces troubles le bras de l’entreprise brésilienne ne semble pas avoir été franchi. L’expulsion de l’ambassadeur américain peut ressembler à un avertissement. Le Brésil reste le client principal, 60% de sa consommation de gaz provient des gisements boliviens par un gazoduc qui prend son départ dans deux des provinces les plus revendicatives. Ce qui explique l’appel à la modération de Lula da Silva au sommet de l’Unasur (Union des nations sud-américaines) du 15 septembre 2008. En échange d’une mise en retrait du tonitruant président vénézuelien, qui prévoit d’intervenir militairement au cas où, le sommet a proclamé son « appui entier et décidé au gouvernement constitutionnel du président Evo Morales ». Une commission issue de cette réunion va enquêter sur le massacre de Cojiba. Les départements boliviens en quasi insurrection sont appelés à « restituer les installations gouvernementales dont elles ont pris le contrôle ». C’est un succès pour Morales, mais il y a un prix à payer. L’Unasur lui demande de mettre en place un dialogue réel avec ses opposants alors qu’il appelait il y a peu ses partisans à « mourir pour la patrie ».
D’un point de vue « démocratique » la Bolivie est dans l’impasse. Le référendum dit révocatoire du 10 août dernier a en même temps confirmé Morales et les gouverneurs contestataires à leur poste. Ce qui a renforcés ces derniers dans leur dénonciation du projet d’une nouvelle constitution porteuse selon eux d’un « fondamentalisme aymara ». Evo Morales appartient à cette ethnie.

Et les indiens ?

Et c’est bien là qu’est tout le problème. Ils ont toujours été considérés comme des moins que rien, de la main d’œuvre taillable et corvéable à merci. Le versement d’une rente aux plus de 60 ans, par le gouvernement, fait apparaître en plein jour la misère du pays. 7,5% de la population a dépassé cet âge. La majorité des bénéficiaires de cette allocation n’ont aucun revenu régulier. Ils recevront 18 euros par mois ! Cette allocation sera prise sur les rentrées provenant des impôts directs sur les hydrocarbures qui alimentent les budgets provinciaux ! On conçoit fort bien qu’un tel scandale remue tant de bien-pensants. Chassés par la misère des campagnes et des hauts plateaux les indiens ont rejoint les villes qui regroupent aujourd’hui 64 % de la population. Ce déracinement est porteur de crise sociale grave et dans ce cas précis de crise culturelle. Le réveil des groupes indiens séculairement méprisés, dominés, est en cours dans toute l’Amérique latine. Il se situe hors de la sphère culturelle judéo-chrétienne, c’est probablement ce qui fait peur. L’avenir nous dira de quoi il sera porteur.

Pierre Sommermeyer