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Immigration, rétentions, expulsions.
Xénophobie d’État et politique de la peur (Suite …)
Olivier Le Cour Grandmaison
Article mis en ligne le 29 septembre 2008
dernière modification le 25 septembre 2008

Revue Lignes n°26 : Immigration, rétentions, expulsions.

LES ÉTRANGERS INDÉSIRABLES

Xénophobie d’État et politique de la peur (Suite …) [1]

Peu après son entrée en fonction, en tant que ministre de l’Immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du co-développement, — une première dans l’histoire de ce pays, de même pour celle des États démocratiques puisque ce ministère, au nom et aux fonctions abracadabrantesques, n’a pas de précédent connu : encore une remarquable mais sinistre exception française — Brice Hortefeux demandait à ceux qui condamnaient cette initiative et la politique dont elle était l’expression de le juger non sur des paroles, moins encore sur des intentions supposées, mais sur des actes. Soit.

Les quelques mois qui viennent de s’écouler permettent de le faire en s’appuyant sur des éléments précis, nombreux et concordants puisque l’homme lige du chef de l’État et l’administration qu’il dirige ont travaillé d’arrache-pied pour atteindre les quotas d’expulsion établis par Nicolas Sarkozy, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, puis confirmés après son élection à la présidence de la République par son « collaborateur » à Matignon, François Fillon. Enfin, dans une interview accordée au journal Le Parisien, le 16 décembre 2007, Brice Hortefeux déclarait, fier du travail accompli et des résultats obtenus, que « 21 000 éloignements avaient été effectués » en dépit d’une conjoncture difficile marquée, précisait-il, par « la période d’attente » liée à la campagne électorale des présidentielles puis des législatives, et au changement de statut juridique des ressortissants bulgares et roumains.
En d’autres circonstances, ce vaillant défenseur de l’identité française, qui affirme agir avec « justice » et « humanisme », aurait donc fait beaucoup mieux. C’est d’ailleurs le but qu’il s’est fixé pour 2008 puisqu’un nombre légèrement supérieur a été arrêté cependant qu’en 2010, les expulsions devront atteindre 28 000 conformément à la « feuille de route » établie par les services du premier ministre. Grandioses et très républicaines perspectives qui prouvent que la planification n’est pas partout laissée en déshérence et que la mission première de B. Hortefeux, pour les deux ans à venir, est bien d’expulser un nombre croissant d’étrangers en situation irrégulière.

Les plumes serviles de ses conseillers en communication le confirment puisque, soucieux de promouvoir l’image de fidélité et de rigueur de leur champion dans les documents placés sur le site officiel de cette administration, ces derniers écrivent : « Grâce à la politique pragmatique menée par le gouvernement précédent, sous la conduite du ministre de l’intérieur, Nicolas Sarkozy, les reconduites à la frontière ont augmenté de 140% entre 2002 et 2006. » Après cette génuflexion rhétorique devant la figure du Commandeur qui est à l’origine de cette « rupture » remarquable supposée mettre un terme à des années de laxisme, les mêmes ajoutent : « Nous resterons très ferme. » Quant à l’intégration et au co-développement, on découvre qu’elles n’occupent qu’une place somme toute réduite comparée à l’activité principale de ce ministère laquelle contredit son appellation officielle. La fonction de celle-ci est de contribuer à légitimer la mise en œuvre d’orientations toujours plus restrictives à l’encontre des immigrés en faisant croire que la « fermeté » contre les « clandestins » est la condition sine qua non de l’intégration réussie des étrangers résidant de façon régulière sur le territoire français. À cela s’ajoute, pour être bien entendu des électeurs d’extrême-droite particulièrement courtisés, hier et aujourd’hui encore, le couplet attendu sur la nécessité de préserver « la cohésion de notre communauté nationale » qui serait donc gravement menacée par l’augmentation du nombre des « clandestins. » Classique antienne.

Depuis longtemps déjà, elle fait partie du prêt-à-penser de la droite qui, en ces matières est affectée d’un strabisme divergeant qui la fait lorgner durablement du côté du Front national pour justifier chaque nouveau durcissement de la législation relative à l’entrée et au séjour en France des ressortissants non-communautaires. Ajouter à cela quelques formules creuses et convenues sur l’aide à l’Afrique et la nécessité de « tendre la main » à la « jeunesse [2] » de ce continent, et l’on obtient l’appellation ronflante du ministère précité laquelle est digne d’entrer dans le lexique de la novlangue analysée par Orwell.
Dans 1984, en effet, « le ministère de la Paix » est celui qui organise et prépare la guerre, et « le ministère de l’Amour » celui où sont torturés et exécutés les « ennemis du peuple. » Régime totalitaire qui n’a rien à voir avec la situation française ? Assurément mais ce travail sur le langage, auquel Brice Hortefeux est particulièrement attentif puisqu’il ne cesse d’euphémiser les conséquences pratiques des orientations qu’il défend pour mieux promouvoir sa politique — « éloignement », « vocation à retourner dans son pays d’origine » par exemple —, doit nous conduire à renommer l’administration qu’il dirige. Aux vues de ses missions principales et des critères — le « nombre de reconduites à la frontière » — arrêtés par le secrétaire d’État à la Prospective, l’ancien socialiste Éric Besson, chargé d’évaluer l’action gouvernementale, le seul nom adéquat est celui de ministère des Expulsions. Enfin, relativement aux considérations sordidement électoralistes qui sous-tendent la détermination et l’application de cette politique, destinée à « siphonner la boite à idées et l’électorat du Front national » comme le notait un éditorialiste du Monde, gageons qu’elle sera poursuivie jusqu’en 2012 pour servir au mieux les intérêts du chef de l’État et ceux de l’UMP.

À l’heure du bilan, celui-ci et ses multiples serviteurs empressés, et intéressés, pourront annoncer d’un ton docte et satisfait qu’ils ont tenu les promesses qu’ils avaient faites aux « Français », et le ministre des Expulsions déclarer fièrement qu’il a su garder le cap sans se laisser distraire par les mobilisations d’associations spécialisées dans la défense des « droits-de-l’hommisme. » Et pour preuves de ses bons et loyaux services, nul doute qu’il fera étalage des résultats obtenus par son ministère depuis cinq ans comme d’autres exhibent leurs médailles et leurs décorations. Il y a deux façons principales d’entrer dans l’histoire : de façon glorieuse ou ignominieuse ; d’ores et déjà le nom de Hortefeux est à jamais associé à la pire des politiques conduites à l’encontre des étrangers sous la Cinquième République. Mais ne commettons pas d’injustice en oubliant celui de son mentor et ami de trente ans à qui il doit toute carrière : Nicolas Sarkozy dont on sait le rôle prépondérant en ce domaine. Au Panthéon de la xénophobie d’État, une place particulière doit leur être réservée.

Sur quelques activités du ministère des Expulsions

L’énumération qui suit n’a pas la prétention d’être exhaustive. Hélas, elle peut être abondamment et tristement complétée par de nombreux exemples puisés dans une actualité chargée puisque chaque semaine apporte son lot d’informations, souvent dramatiques, toujours affligeantes relatives à la traque, aux rafles [3], aux placements en centre de rétention et aux expulsions d’étrangers majeurs et mineurs. Sans oublier la multiplication des violences policières à l’encontre de ceux qui, retenus à Vincennes par exemple, ont décidé de résister collectivement pour protester contre leur condition de détention et leur « éloignement » prochain selon la délicate formule du sensible Hortefeux.

5 juin 2007. Une camerounaise de 9 ans est maintenue au centre de rétention de Lyon-Saint-Exupéry avec son père en voie d’expulsion. Depuis cette date, les fonctionnaires zélés de certaines préfectures, sommés sans doute d’améliorer leurs résultats pour atteindre les objectifs fixés par le ministre précité, ont fait beaucoup mieux.

En octobre 2007, Maud Steuperaert, de la Cimade, signalait la présence d’un bébé de 3 semaines dans le centre de rétention de Rennes et précisait qu’il s’agissait « du plus jeune enfant » jamais détenu depuis « l’ouverture » de ce type d’institution « au début des années 80. »

Admirable record qui fait honneur à la « France des droits de l’homme » et qui permet de bien juger des conceptions humanistes de Hortefeux. En confirmant la libération prononcée par le juge des libertés, la Cour d’appel évoquait dans son arrêt rien moins que des « traitements inhumains et dégradants », et les « conditions anormales imposées à ce très jeune enfant » et à ses parents. Tous furent donc laissés libres, et abandonnés à eux-mêmes devant la cité judiciaire de Rennes, à quatre cents kilomètres de leur domicile. Délicatesse et humanité, encore et toujours. Coup d’arrêt partiel à la politique mise en œuvre par le ministre des Expulsions ? Nullement, il ne s’agit pour lui que de péripéties judiciaires et ces arguments ne l’impressionnent guère car il a une « mission » à remplir : « répondre à l’attente des Français qui nous demandent de maîtriser les flux migratoires pour préserver l’équilibre de notre communauté nationale » conformément à « l’engagement » pris par « le Président de la République devant nos compatriote. » Il persévère donc afin d’accomplir son « devoir aussi simple qu’exigeant [4]. » Ainsi est fait.

En février 2008, une jeune femme de la République démocratique du Congo et son fils de 16 mois, né en France, ont été internés pendant dix-sept jours dans le même centre de rétention avant d’être libérés suite à la mobilisation d’associations et de nombreux élus. Elle est depuis assignée à résidence et doit être bientôt jugée par le tribunal correctionnel de Rennes. De même à Toulouse où 35 enfants, dont 26 âgés de moins de 10 ans, ont été placés dans le centre de rétention de la ville entre le 25 janvier et le 29 octobre 2007 cependant qu’à Lyon, par exemple, une famille entière — 2 adultes et 2 enfants scolarisés — est contrainte de vivre dans la clandestinité depuis le mois de mars 2008 pour échapper à un sort identique [5].

Rappelons à ceux qui prétendent incarner le respect scrupuleux des lois de la République que ces pratiques constituent autant de violations graves, répétées et systématiques d’une Convention des Nations Unies relative aux Droits de l’Enfant et de dispositions législatives qui précisent « que l’étranger mineur ne peut pas faire l’objet d’une mesure de reconduite à la frontière (Article L. 511-4, Ceseda). ». En ces matières, les forces de police, couvertes parce qu’encouragées par leur autorité de tutelle et par le pouvoir politique dans son ensemble, méconnaissent ainsi, depuis longtemps déjà, un Traité international, pourtant ratifié par la France, et des dispositions juridiques nationales votées par le Parlement [6] . Excusez du peu.

L’addition de ces différents faits, avérés, constatés et consignés par de nombreuses institutions et associations, tant nationales qu’européennes, dans des rapports publics aisément accessibles, ne sont pas des accidents marginaux et limités dans le temps. Au contraire, leur mise en perspective révèle ceci : les principes républicains et l’autorité des lois, invoqués de façon solennelle par les uns et les autres, couvrent leur violation courante et parfois systématique légitimée par les impératifs de la sécurité et de la mise en scène démagogique des résultats, lesquels permettent à l’actuel président de la République et à son ministre des Expulsions de faire croire qu’ils disent ce qu’ils font et qu’ils font ce qu’ils disent alors qu’ils sont à l’origine de pratiques illégales dont certaines ont été jugées telles par le Conseil d’Etat et par le commissaire européen aux Droits de l’Homme !

Olivier Le Cour Grandmaison

Extrait de Xénophobie d’État et politique de la peur, à lire la suite in Lignes
n° 26

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